Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 14

 

Nous portâmes Hassan dans le palanquin etKoureb monta auprès de lui.

– Maintenant demandai-je à Nadir, oùallons-nous ?

– D’abord, il faut fermer cette maison,ensuite je te conduirai chez moi.

– Tu as donc une maison àCalcutta ?

– Oui, là tu seras à l’abri de toutes lestrahisons de Tippo.

Nadir prononça quelques mots dans cette languemystique que je ne comprenais pas, et le palanquin se mit enmarche.

– Où donc envoies-tu Hassan ?demandai-je encore.

– Je le confie à Koureb qui va l’emmenerdans sa pagode.

Les pagodes sont inviolables, même pour lesAnglais, et si puissant que soit Tippo, il n’osera pas aller l’ychercher.

Nous fermâmes la maison d’Hassan et Nadirappela d’un signe la jeune fille à qui nous avions eu affairedéjà.

– Mon enfant, lui dit-il, lorsque l’onviendra demander Hassan, vous répondrez que le bonhomme étaitdésormais trop vieux pour travailler et que ses parents l’ontconduit dans leur propre maison pour avoir soin de lui.

La jeune fille s’inclina et Nadir lui confiala clef de la maison en ajoutant :

– Il est possible que les soldats quisont déjà venus, prétendant que le vieux tailleur possède destrésors, reviennent à la charge.

– Vous leur donnerez cette clef et vousleur direz qu’ils peuvent fouiller à leur aise, il n’y a rien.

Nous nous en allâmes, Nadir et moi ; dansla ville blanche.

Mais avant de quitter la ville noire nousentrâmes dans un schoultry, où je pus avoir une nouvelle idée del’importance et du crédit de Nadir.

Le maître du schoultry salua jusqu’à terre, enélevant ses deux mains au-dessus de sa tête, ce qui est, dansl’Inde, le témoignage du plus grand respect.

Nadir lui fit un signe et il nous conduisitdans une pièce reculée de sa maison où, à mon grand étonnement, jevis mon compagnon se débarrasser de ses vêtements indiens etrevêtir un costume européen.

– Oh ! me dit-il en souriant, etvoyant que je me montrais surpris de le voir si à l’aise sous seshabits de gentleman, cela t’étonne, n’est-ce pas ?

– En effet, répondis-je.

– Eh bien ! que dirais-tu si je teracontais que j’ai vécu à Londres ?

– Vraiment !

– Et à Paris.

Et comme je paraissais de plus en plus étonné,Nadir continua :

– Tel que tu me vois, j’ai logé à l’hôtelMeurice, dîné au Café Anglais et j’ai été aiméd’une drôlesse qu’on appelait Roumia.

À ce nom, je ne pus retenir un crid’étonnement.

– Tu la connais ? me dit-il.

– Je ne sais. N’avait-elle pas un autrenom ?

– Oh ! si fait, elle se faisaitencore appeler la Belle Jardinière.

Un nouveau cri m’échappa.

– Je vois que tu la connais, me ditNadir. C’est une belle femme, mais la vipère noire qui frétilledans l’herbe de nos forêts et dont la blessure est mortelle, estmoins dangereuse et moins perfide.

– Je le sais.

– Elle ne craint qu’un homme.

– Ah !

– Et cet homme, c’est moi.

– Toi ! fis-je avec un redoublementde surprise, elle te craint ?

Un sourire passa sur les lèvres de Nadir.

– Je te conterai tout cela, quand nousserons dans ma maison.

Et il compléta sa métamorphose.

Il y a des Indiens de deux races dansl’Hindoustan.

Les uns purs de toute alliance avec la raceeuropéenne, sont cuivrés.

Les autres, dont les ancêtres ont épousé desAnglaises sont blancs.

Quand Nadir, qui était de ce nombre, eutrevêtu sa veste blanche, son large pantalon d’étoffe rayée et misses gants, on l’eût pris pour un véritable Anglais.

– Maintenant, me dit-il,allons-nous-en !

Et nous quittâmes le schoultry.

Nous entrâmes dans la ville blanche quiétincelait de lumières.

Calcutta est éclairé, comme Londres, par destorrents d’hydrogène.

Au bout de la rue du Gouvernement, qui est laplus large et la plus belle de celles du quartier européen. Nadirs’arrêta devant la grille d’un vaste jardin.

Nadir tira une clef de sa poche etl’introduisit dans la grille, qui s’ouvrit.

Au bruit qu’elle fit en se refermant, deuxIndiens accoururent.

Ils portaient la livrée orientale que toutgentleman opulent donne à ses serviteurs, une veste rouge etblanche et un pantalon de même couleur.

À la façon dont ils saluèrent Nadir, jecompris que pour eux ce n’était qu’un gentleman et qu’ilsignoraient non-seulement sa race, mais encore son titre de chef desFils de Sivah.

Les deux Indiens portant des flambeauxéclairèrent notre marche à travers le jardin.

Nadir se dirigea vers la maison et me fittraverser un vestibule spacieux, dallé de marbre, au milieu duquelse trouvait une fontaine.

Puis il poussa une porte, à gauche, et je metrouvai au seuil d’un véritable salon anglais.

Nadir me dit alors en m’invitant à m’asseoirsur un canapé, auprès d’un guéridon.

– Nous allons prendre le thé, et je teraconterai mes amours avec la Belle Jardinière.

En même temps, il donna des ordres enanglais.

Cinq minutes après le thé était servi, etNadir commençait ainsi son récit.

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