Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 38

 

Marmouset hésita cependant un moment.

Pourquoi l’Irlandaise qui l’avait conduitjusque là s’en retournait-elle précipitamment ?

Un soupçon traversa même son esprit.

Ne pouvait-il se faire que l’Irlandaise ne fûtpas la femme que lui avait annoncée Rocambole mais bien unémissaire de sir Edwards Linton ?

Cette supposition, qu’il accueillit l’espacede quelques secondes, lui parut absurde.

– Allons ! se dit-il, quoi qu’ilarrive, en avant !

Et il introduisit la clé qu’on venait de luiremettre dans la serrure de la petite porte.

La clé tourna, la porte s’ouvrit et Marmousetse trouva dans le jardin.

La lumière brillait toujours dans le lointainau premier étage de la maison.

Lueur discrète, mystérieuse, qui annonçait lerendez-vous.

Marmouset caressa le manche de son revolveret, refermant la porte, il se mit résolument en marche.

Une allée d’arbres conduisait directement dela porte du jardin au perron.

Quand il toucha la première marche, Marmouset,qui ne quittait pas des yeux cette lumière qui lui avait servi deguide, frappa trois coups dans sa main.

Tout aussitôt, la lumière changea deplace ; et passa d’une croisée à l’autre.

Alors Marmouset monta les marches du perron,et, en même temps, la porte de la maison s’ouvrit.

Un corridor plongé dans l’obscurité seprésenta alors à notre héros.

Mais une voix de femme se fit entendredisant :

– Par ici, monsieur, par ici.

Marmouset avait reconnu la voix de Roumia etil entra dans le corridor.

Tout aussitôt une main prit la sienne et lavoix dit encore :

– Venez, suivez-moi.

Marmouset se laissa entraîner dans lesténèbres.

C’était bien la Belle Jardinière qui leconduisait par la main.

Au bout du corridor, ils trouvèrent unescalier dont les marches étaient couvertes d’un épais tapis.

Mais, comme si cette précaution n’eût passuffi, Roumia dit tout bas :

– Marchez sur la pointe du pied.

– Nous ne sommes donc pas seulsici ?

– Non, le major est là-haut.

– Dans la pièce où j’ai vu unelumière ?

– Oui.

Marmouset observa la recommandation.

Ils arrivèrent au premier repos de l’escalieret la Belle Jardinière poussa une porte sur sa gauche.

Marmouset se trouva dans une petite salleégalement plongée dans les ténèbres, mais au milieu de laquellebrillait un point lumineux de la largeur, d’une pièce de vingtfrancs.

C’était un trou pratiqué dans le mur ;et, par ce trou, passait un rayon de cette lampe que Marmousetavait-aperçue d’en bas.

– Collez votre œil à ce judas etregardez, dit Roumia.

Marmouset obéit.

Il put voir alors, de l’autre côté du mur, unesorte de large ottomane en cuir couleur noisette sur laquelle unhomme était étendu de tout son long.

Cet homme dormait, les vêtements en désordre,son gilet blanc souillé de quelques taches de vin.

Auprès de l’ottomane une table supportait deuxcouverts, les restes d’un plantureux souper et un certain, nombrede flacons vides.

– Il dort, dit Roumia.

Marmouset se pencha vers elle :

– Grâce, sans doute, à quelqu’un de cesparfums mystérieux que vous aimez à employer ?

– Non, il est ivre.

– D’opium ?

– De vin.

S’ils n’eussent été dans les ténèbres, biencertainement-Roumia aurait vu glisser un sourire dédaigneux sur leslèvres de Marmouset.

Il semblait à celui-ci que la Belle Jardinièrese relâchait sensiblement de ses excentriques habitudes pourrecourir à des moyens, tout à fait vulgaires.

Mais elle devina sans doute sapensée :

– Cela vous étonne ? dit-elle.

– Sans doute.

– C’est que le major Linton n’est pas lemarquis de Maurevers.

Elle prononça ce nom d’une voix sourde quiapprit à Marmouset que, si elle était devenue l’esclave deRocambole, elle n’avait cependant point renoncé à sa haine pour lemeurtrier de Perdito.

Et comme Marmouset ne répondait pas, ellereprit :

– Le major a vécu dans l’Inde troplongtemps pour n’en pas savoir aussi long que moi sur les parfums,les narcotiques et les poisons. C’est par mes charmes seulement queje dois opérer et lui arracher son secret.

– Ah ! il a un secret ?

– Sans doute.

Puis étonnée de cette question, Roumia ditencore :

– Le maître ne vous a donc riendit ?

– Il m’a dit qu’on me conduirait ici.

– Et puis ?

– Et puis que je vous trouverais…

– Alors écoutez, dit Roumia. Le major aapporté une fortune immense de l’Inde.

– Je sais cela.

– Cette fortune, le maître la veut.

– Je le sais encore.

– Mais où est-elle ? Voilà ce quenous ne savons pas.

– Il vous sera facile de le savoir.

– Non, poursuivit Roumia, le major estdéfiant. Il a enfoui ses trésors. Où ? Personne à Londres nele sait. Il est fou de moi, et pourtant je n’ai pu obtenir lamoindre confidence à ce sujet.

– Il n’a pourtant pas gardé son or enlingots, dit Marmouset.

– Au contraire. Seulement où l’a-t-ilenterré ? Voilà ce que nous cherchons à savoir, le maître etmoi.

– Mais puisque le major vous aime…

– Il m’aime parce que je suisbelle ; mais son amour jusqu’à présent ressemble à lasatisfaction de l’homme qui a payé un prix fou un cheval de race.Son cœur n’y est encore pour rien.

– Eh bien ?

– S’il était jaloux, il m’appartiendrait,continua Roumia.

– Ah ! vous croyez ? Cependantil vous montre dans Londres ?

– Oui, certes.

– On vous admire…

– Il en est flatté, mais voilà tout.

– Et vous croyez qu’il peut devenirjaloux ?

– J’en suis sûre.

– Comment ?

– Si vous jouez le rôle que le Maîtrevous a destiné.

– Je suis prêt, dit Marmouset.

– Alors, écoutez-moi.

Et la Belle Jardinière fit asseoir Marmousetauprès d’elle, sur un canapé, à deux pas de ce trou par lequel onapercevait le major endormi.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer