Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 6

 

Quand je revins à moi, j’étais dans un lieuinconnu.

Des hommes m’entouraient. Les tigres et lapanthère avaient disparu.

J’étais dans une case d’Indiens, de ceux quivivent au bord des forêts et cultivent le riz et le maïs.

Des trois hommes qui étaient auprès de moi,deux m’étaient inconnus.

Mais je poussai un cri de joie à la vue dutroisième.

C’était mon fidèle Moussami.

Moussami baisait mes pieds et mes mains avectoutes les marques de la joie et du respect.

Il me fit comprendre par signe qu’il m’avaitcru mort et que si j’étais encore de ce monde, c’était un peu grâceà lui et beaucoup grâce à l’un des deux hommes qui étaient là.

Je regardai alors celui qu’il medésignait.

C’était un homme de haute taille, au visagebasané, à la barbe noire et luisante, à l’expression noble etfière.

Il m’adressa la parole en français et medit :

– Tu veux savoir qui je suis, sansdoute ?

Je fis un signe de tête affirmatif.

– Je me nomme Nadir, et je suis un chefpuissant de cette secte mystérieuse qui combat à outrance la sectedes Étrangleurs.

Ceux-ci s’appellent les Thugs ; noussommes, nous, les Fils de Sivah. Tu ne me connais pas,mais je sais, moi, qui tu es et les services que tu nous as rendusen livrant Ali-Remjeh, notre plus mortel ennemi.

C’est pour cela que je t’ai sauvé.

Je regardai cet homme avec étonnement.

Il poursuivit :

– Les griffes de la panthère t’ontdéchiré ; mais après que j’ai eu tué la bête féroce, j’ai pume convaincre que tes blessures étaient sans gravité.

D’ailleurs, je t’ai pansé à la manièreindienne, et j’ai versé dans chacune de tes plaies un baume dontles gens de ma race ont seuls le secret et qui cautérise enquelques heures les blessures les plus profondes.

Dans deux jours, tu pourras te lever etrevenir à Calcutta, où ma protection s’étendra sur toi nuit etjour.

– Qui que tu sois, lui dis-je,merci !

Il reprit :

– Je suis venu à ton aide, non seulementparce que je te savais de la reconnaissance, mais parce que j’auraipeut-être besoin de toi un jour.

– Parlez, lui dis-je, cette vie que vousavez conservée vous appartient.

– Plus tard, répondit-il, Maintenant,laisse-moi te dire comment je suis parvenu à t’arrachez à une mortépouvantable.

Et il s’assit sur le bord de la couche deroseau et de bambou qu’on m’avait dressée dans la maison del’Indien cultivateur de riz.

– Les Thugs ont leur police ; maisnous avons aussi la nôtre, reprit-il.

Malheureusement j’étais absent de Calcuttalorsque tu y es arrivé et je n’ai su qu’à la dernière heure lesprojets de Tippo-Runo.

Hier matin, au lever du soleil, on m’a amenéun Indien qui a dit avoir des révélations à me faire.

Cet homme s’est jeté à mes pieds et m’adit :

– Je suis un fils de Sivah comme toi, etbien que je sois entré au service de Tippo-Runo, je ne veux pointqu’il arrive malheur à ceux que tu protèges.

Alors il m’a raconté qu’il avait surpris uneconversation entre deux serviteurs dévoués de Tippo-Runo.

On t’avait enlevé pendant la nuit la bague durajah Osmany, et on avait coupé la langue de Moussami.

Maintenant on devait t’enlever, te conduiredans une forêt et t’abandonner, garrotté, sous les rameauxempoisonnés d’un mancenillier.

L’homme qui me disait tout cela m’a conduitdans la ville blanche, à l’hôtel de Batavia, dont le maître estdévoué corps et âme à Tippo-Runo : tu venais de partir,emmené, me disait-on, par deux agents de la police anglaise.

Nous avons trouvé Moussami dans ta chambre. Jel’ai pansé à la hâte et je l’ai emmené avec moi.

Nous t’avons alors suivi à la trace, pourainsi dire.

Mais tu avais de l’avance sur nous.

Renseignés par des Indiens, nous avons apprisque tu étais sorti de Calcutta en litière, et que la litière étaitportée non plus par des hommes, mais par des chevaux.

Alors Moussami et moi nous sommes égalementmontés à cheval et nous t’avons suivi.

De distance en distance des Indienscultivateurs qui avaient vu passer le palanquin, nous renseignaientsur la direction qu’il avait prise.

Mais tous nous disaient qu’il avait sur nousune avance de plusieurs heures.

Enfin nous sommes arrivés à la lisière decette forêt.

Les chevaux et le palanquin s’ytrouvaient.

Mais les ravisseurs et toi vous aviezdisparu.

Entrer dans la forêt sans savoir quelle routevous aviez suivie était insensé.

La forêt a plusieurs lieues carrées desuperficie.

Je savais que les exhalaisons du mancenillierne sont mortelles qu’au bout de plusieurs heures.

Mieux valait donc attendre que les hommes quit’avaient emmené revinssent prendre possession du palanquin et deschevaux.

Cachés dans une broussaille voisine nousattendîmes environ deux heures.

Au bout de ce temps, trois hommes sortirent dubois, deux nègres et un Indien si blanc qu’on le prenait pour unAnglais.

Je le reconnus.

C’était un serviteur de Tippo-Runo si dévouéqu’il ne fallait rien attendre de lui ; il serait mort centfois avant de nous indiquer l’arbre sous lequel on t’avaitabandonné.

Donc, comme il s’apprêtait à monter dans lepalanquin, j’épaulai ma carabine et je lui envoyai une balle dansle front.

Il tomba sans pousser un cri.

Alors Moussami et moi nous nous élançâmes horsde la broussaille.

Les nègres tombèrent à genoux et demandèrentgrâce.

Je les menaçai de les tuer sur l’heure s’ilsne me conduisaient à l’endroit où on t’avait laissé.

L’un d’eux refusa de parler : Moussami letua d’un coup de poignard.

L’autre consentit à nous servir de guide.

Mais la nuit était venue et les tigresdevaient être sur pied.

C’est alors, acheva Nadir, que nous employâmesun moyen bizarre, mais bien connu, pour les écarter.

Nous entrâmes dans cette hutte où nous sommeset nous y trouvâmes un tambour et des torches.

Tu sais le reste…

– Oui, dis-je, en levant sur Nadir unregard plein de reconnaissance. Et maintenant, parlez,qu’attendez-vous de moi ?

– Tu le sauras dans deux jours, medit-il, quand nous serons à Calcutta.

Et il refusa de s’expliquer.

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