Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 35

 

Huit jours après nous eussions retrouvéMarmouset et Milon à Londres.

Tous deux, arrivés le matin par le premiertrain, étaient descendus dans la Cité, à l’hôtel deHanovre.

Marmouset était vêtu avec la correcte éléganced’un parfait gentleman.

Milon passait pour son intendant.

Comment et pourquoi avaient-ils quittéParis ?

C’est ce que nous allons vous dire.

Lorsqu’ils furent hors de ce souterrain quis’étendait sous la mystérieuse villa de Saint-Mandé, il étaitnuit.

Milon dit à Marmouset :

– Voici les instructions du maître :nous irons à Paris, dans le petit hôtel de la rue Marignan.

– Bon ! fit Marmouset.

– Et demain nous partirons pourLondres.

– C’est là que le maître nous attend,sans doute ?

– Je ne sais pas. Il m’a commandé dedescendre dans la cité, à l’hôtel de Hanovre. Voilà toutce que je puis dire.

– Nous l’y trouverons sans doute, lui ouVanda, dit Marmouset.

– Je ne sais pas, dit encore Milon.

Marmouset avait donc couché avenueMarignan.

Le lendemain, il était allé chez lui, où sesgens commençaient à s’inquiéter fort de son absence.

Il avait décacheté quelques lettresinsignifiantes, écrit un mot au président du Club desAsperges, mis en ordre quelques affaires, et le soir, à cinqheures, il était à la gare du Nord, où il retrouvait Milon.

Le lendemain matin, ils arrivaient à Londreset descendaient à l’hôtel de Hanovre.

Là, Marmouset fut quelque peu étonné, quand ilécrivit son nom sur les registres de l’hôtel, de voir que ce nométait accueilli avec la plus parfaite indifférence.

– Le maître n’est donc pas venuici ? dit-il à Milon.

– Il paraît que non, répondit lecolosse.

Ils attendirent toute la journée, n’osantsortir et espérant toujours que Rocambole viendrait.

Mais Rocambole ne vint pas.

Alors Marmouset dit à Milon :

– Tu vas attendre ici, moi, je vaiscourir la voie. Peut-être rencontrerai-je le maître.

Il fit sa toilette du soir avec un soinminutieux ; alla dîner au Club West-India, où ilavait été présenté l’été précédent, et résolut de passer sa soiréeau théâtre de Covent-Garden.

Il y avait foule ce soir-là.

Une étoile dramatique, la diva *** chantait laMuette de Portici.

Toute l’aristocratie anglaise était venuel’applaudir.

– Je trouverai certainement le maîtreici, pensa Marmouset.

Et il entra.

Mais il eut beau promener sa lorgnette de logeen loge, nulle part il n’aperçut le major Avatar.

En face de lui, une loge était vide.

Le premier acte avait été joué tout entier, lesecond commençait et cette loge inhabitée contrastaitsingulièrement avec le reste de la salle qui était comble.

Marmouset eut une espérance.

– Le maître, se dit-il, a sans doute louécette loge pour lui et Vanda, et ils vont venir.

Marmouset se trompait.

La porte s’ouvrit et un homme et une femmeentrèrent.

Ce n’était pas Rocambole, ce n’était pasVanda ; et cependant Marmouset étouffa un cri de surprise.

Cette femme qui souleva, en entrant, unmurmure d’admiration, – c’était Roumia la bohémienne, ou plutôt laBelle Jardinière, plus étincelante, plus rayonnante de beauté et dejeunesse que jamais.

L’homme qu’elle accompagnait et sur le brasduquel elle s’appuyait avec une confiante sérénité, était de taillemoyenne et entre deux âges.

Mis avec une distinction parfaite et uneexquise simplicité, doué d’un grand air de noblesse, cet homme setrouva soudain le point de mire de toutes les lorgnettes, et parutse complaire dans ce rôle de curiosité qu’on lui faisait jouer.

Marmouset, qui parlait maintenant l’anglaisavec une pureté parfaite, après avoir dominé l’émotion que luiavait fait éprouver la subite apparition de la Bette Jardinière, –Marmouset, disons-nous, se pencha sur son voisin de droite et luidit :

– Je prie Votre Honneur de m’excuser,mais j’ai eu l’avantage de dîner avec Votre Honneur aujourd’huimême, à West-India Club.

– C’est vrai, répondit le gentleman quisalua Marmouset.

Les présentations se trouvant faites,l’Anglais n’avait plus aucune raison de ne point causer avecMarmouset, et la conversation s’établit aussitôt sur un pied deparfaite intimité.

– Voilà, dit Marmouset, un gentleman quifait quelque sensation.

– En effet, répondit soninterlocuteur.

– Sa femme est très belle…

– Oh ! certainement. Mais ce n’estpas pour sa femme qu’est la curiosité du moment.

– Ah !

– C’est pour lui… pour lui seul…

– Quel est donc ce personnage ?

– Le major Linton.

À ce nom, Marmouset tressaillit.

Le gentleman continua :

– Le major Linton arrive des Indes.

– En vérité !

– Où il a fait une fortune colossale,même pour l’Angleterre où, cependant, il y a des fortunesroyales.

– Quelle fortune a-t-il donc ?

– On ne sait pas. Mais la maison Barley,une de nos premières maisons de banque, a à lui une trentaine demillions en comptes courants.

– Peste ! fit Marmouset.

– On prétend que le major a rapporté enEurope des tonnes de diamants et de perles.

– Mais comment a-t-il fait cettefortune ?

– En trafiquant de l’opium.

– Et le voici fixé à Londres ?

– Pour la saison, oui. Mais il passera,dit-on, l’hiver dans une résidence princière qu’il vient d’acheterdans le pays de Galles.

Marmouset commençait à voir poindre le doigtde Rocambole.

– Et sa femme, dit-il, vient-elle del’Inde aussi ?

– Voilà ce qu’on ne sait pas.

– Vraiment ?

– Le major est arrivé avec elle ;mais on croit que c’est une Française.

– Il l’aurait donc épousée àParis ?

– C’est probable.

Marmouset éprouva tout à coup, pendant qu’ilcausait, cette sensation singulière qu’on ressent quand un regardpèse sur vous.

Il leva la tête et vit la lorgnette de laBelle Jardinière obstinément, braquée sur lui.

– Elle me reconnaît, pensa-t-il.

Et il se mit à la regarder à son tour.

Il lui sembla alors qu’un sourire mystérieuxet discret glissait sur les lèvres de la bohémienne.

– C’est trop d’audace !pensa-t-il.

Le major Linton paraissait tout entier auspectacle et s’occupait fort peu de sa compagne.

Celle-ci, en revanche, ne perdait pasMarmouset de vue.

Et Marmouset se posait alternativement cesdeux questions sans pouvoir les résoudre.

– Est-elle avec le major Linton par ordrede Rocambole ?

– Ou bien a-t-elle pu échapper àRocambole, et le hasard seul a-t-il tout fait ?

Il attendit la fin du spectacle, sortit un despremiers et alla se placer au bas du péristyle, pour voir sortir laBelle Jardinière.

Mais, en ce moment, une main s’appuya sur sonépaule. Il se retourna :

– Le maître ! murmura-t-il.

En effet, Rocambole était devant lui.

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