Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 20

 

– Les rôles étaient changés, poursuivitNadir, elle était l’esclave et j’étais le maître.

Nagali, après m’avoir délié, après être tombéà mes genoux, tira un poignard et me dit :

– Faut-il tuer cette femme ?

– Non, lui dis-je, va-t’en ! si j’aibesoin de toi je t’appellerai.

Nagali et son compagnon sortirent.

Alors je me trouvai seul avec Roumia.

Pour la première fois de sa vie peut-êtrecette femme tremblait.

Palpitante sous mon regard, comme la colombesous l’œil de l’épervier, elle se tenait immobile devant moi etsemblait attendre que j’eusse prononcé sa condamnation.

Je lui mis la main sur l’épaule et luidis :

– Pour qui donc m’as-tu pris ?

Elle leva les yeux et toutefrissonnante :

– Je ne sais pas qui tu es,répondit-elle, mais jamais je n’ai éprouvé sous le regard d’unhomme ce que je ressens sous le tien.

Un sourire me vint aux lèvres.

– Comment ces deux hommes sont-ils à tonservice ? lui demandai-je.

– Je les ai ramenés de l’Inde.

– Tu es donc allée dans l’Inde ?

– Oui.

– Quand donc ?

– Il y a cinq ans.

– Dans quel but ?

– Dans le but d’y apprendre la sciencedes parfums et des poisons.

– Pour torturer sans doute cet homme quej’ai entrevu la nuit dernière ?

– Oui.

– Eh bien ! parle, lui dis-je, jeveux tout savoir…

Elle se tenait toujours courbée devant moi etson sein soulevé, son front pâle, témoignaient de la crainte que jelui inspirais.

Enfin, elle parut faire un violent effort surelle-même.

– Qui donc es-tu, me dit-elle enfin, enosant me regarder, toi devant qui s’agenouillent les hommes que jecroyais m’appartenir corps et âme ?

– Je ne suis pas un Anglais, répondis-je,je me nomme Nadir.

Et comme ce nom ne paraissait produire surelle aucune impression, je lui dis :

– Demande à Nagali qui je suis, il te ledira.

En même temps, j’ouvris toute grande lacroisée dont j’avais coupé une vitre ; et je penchai mon fronten dehors pour respirer l’air de la nuit.

Cette fenêtre donnait sur un vaste jardin.

– Où suis-je ici ? luidemandai-je.

– Chez toi, me répondit-elle.

Il y avait dans sa voix un sombreenthousiasme.

Évidemment cette femme reconnaissait masupériorité, et après s’en être indignée, elle éprouvait pour moice sentiment bizarre de soumission, d’amour et de respect que levainqueur inspire quelquefois au vaincu.

– Je veux sortir d’ici, lui dis-je.

Elle leva sur moi des yeux ardents.

– Qui que tu sois, me dit-elle, parle, jeserai ton esclave.

– Tu as voulu ma mort, je ne t’aimeplus.

Elle se prosterna devant moi.

– Veux-tu que je te suive comme unchien ? me dit-elle.

– Non, je veux sortir, répétai-je d’unton impérieux.

Elle poussa un soupir et je vis des larmesbriller dans ses yeux.

Mais je la repoussai et je me dirigeai vers laporte.

En même temps je criai :

– Nagali !

Nagali revint.

– Conduis-moi hors de cette maison, luidis-je.

Alors, au moment de franchir le seuil, je meretournai et je vis Roumia agenouillée en me contemplant.

Mais je sortis.

Nagali voulut me suivre ; je le renvoyaiquand je fus dans la rue.

– Reste au service de cette femme, luidis-je.

– Vous ne voulez donc pas que je latue ?

– Non.

Et je m’en allai.

La maison dans laquelle on m’avait conduit lesyeux bandés trois nuits de suite, était située dans lesChamps-Élysées. Je pus m’en convaincre en sortant.

Je descendis l’avenue à pied et tout enregagnant l’hôtel Meurice, je me disais :

– J’ai déloyalement agi avec cette femme.La vengeance est un droit sacré.

Pourquoi deviendrais-je le protecteurdu-meurtrier ? pourquoi entraverais-je les projets deRoumia ?

Et je me fis le serment de ne plus la revoiret de ne point me mêler de ses affaires.

Elle avait voulu me faire étrangler parNagali. Cela suffisait, à ce moment-là du moins, pour me laissercroire que j’étais guéri de mon amour.

Mais je me trompais.

Le lendemain, le souvenir de Roumiam’assiégea, et je luttai pendant trois jours contre la tentation deretourner chez elle.

Enfin, le quatrième jour, ma porte s’ouvrit unmatin, et Roumia entra.

Mais, dit Nadir, en cet endroit de son récit,je te dirai la suite de cette histoire et ce que j’attends de toi,le jour où tu t’embarqueras pour l’Europe.

Il est tard, tu dois avoir besoin derepos.

Ensuite, demain il faut songer à avoir letrésor du rajah Osmany.

Et Nadir appela les Indiens qui nous servaientet leur commanda de me conduire dans l’appartement qui m’étaitdestiné.

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