Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 49

 

Cependant le calme le plus grand avait régné àbord du West-India,durant toute la journée.

Joseph Couturier, le nouveau chef detimonerie, était arrivé vers midi avec son équipage et il avaitremis à Tippo-Runo le billet que John Happer avait écrit sous lepoignard de Rocambole.

Ce billet n’avait inspiré aucune défiance àTippo-Runo.

Il s’était même dit que si John Happer restaità terre, c’était uniquement pour assurer l’arrestation deRocambole.

Tandis qu’il était sur le pont, Roumia,demeurée seule, s’était empressée d’écrire deux lignes à Rocambolepour l’avertir du danger qu’il courait, et de les confier àl’intelligent volatile, qui avait pris sa volée par le sabord.

Une heure, puis deux, puis une partie de lajournée s’étaient écoulées.

La colombe ne revenait pas.

Tippo-Runo descendit dans la cabine et dit àRoumia :

– Je vous engage à monter sur lepont : il fait un temps superbe, et vous pourrez faire vosadieux à Londres.

Roumia le suivit.

La première personne qu’elle aperçut futMarmouset.

Elle respira.

Marmouset profita d’un moment où Tippo-Runocausait avec le chef de timonerie pour passer derrière elle et luiglisser ces mots :

– Le maître ira à bord cette nuit. Soupezde bonne heure. Narcotique.

Elle fit un léger signe de tête et rejoignitTippo-Runo.

La colombe ne revenait pas ; mais lesparoles de Marmouset avaient rassuré Roumia.

À six heures du soir, Tippo dit àRoumia :

– Nous partons.

– Ah ! fit-elle avecindifférence.

– Nous allons sortir du bassin et demainmatin nous descendrons à la mer.

En effet, Joseph Couturier donnait des ordres,obéissant au faux John Happer dont Tippo-Runo approuvait lesinstructions ; on hissait les ancres, et bientôt leWest-India sortit majestueusement du bassin des docks etdescendit la Tamise.

Il était nuit, lorsqu’il s’arrêta à l’endroitindiqué.

Roumia avait trouvé le moyen d’échangerquelques mots avec Marmouset, qui n’inspirait, du reste, aucunedéfiance à Tippo-Runo.

– Le maître court un grand danger, luiavait-elle dit.

– Un danger ?

– Oui, John Happer est à terre.

– Je le sais.

– Et il l’a dénoncé…

Marmouset eut un sourire :

– John, Happer n’est pas à craindre,dit-il.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr, car il est en notrepouvoir.

Cette réponse rassura Roumia.

– Mais ma colombe n’est pas revenue,dit-elle.

– C’est que le maître l’aura gardée,jugeant, inutile d’éveiller les soupçons de Tippo-Runo. Il vous larapportera.

À dix heures du soir, Tippo-Runo demanda àsouper et s’enferma avec la Belle Jardinière dans la cabine dont ilavait fait pour elle un véritable palais.

– Ma toute belle, dit-il à Roumia, il estfort possible que lorsque John Happer montera à bord, je sois déjàparti pour ce pays des songes dans lequel le vin de Porto me sertde guide quotidien.

– Si vous avez des instructions pour lui,laissez-les-moi, répondit Roumia.

– Je veux qu’il attende mon réveil pourlever l’ancre.

– Vous serez obéi, dit Roumia.

Tippo se mit à table, but et mangea comme àl’ordinaire.

Il ne s’aperçut pas que, dans son dernierverre de porto, Roumia laissa tomber une pincée de poudrenoirâtre.

C’était le narcotique prescrit.

Et à peine eut-il vidé ce dernier verre, queTippo-Runo se renversa brusquement sur le divan où il était assiset ferma les yeux.

Alors Roumia ouvrit la porte de la cabine etMarmouset entra.

– Il dort pour quarante-huit heures aumoins, dit-elle, en souriant, et les deux canons qui sont sur lepont pourraient éclater à ses oreilles, il ne se réveillerait pas.Quelle heure est-il ?

– Minuit, dit Marmouset.

– Alors, le maître ne peut tarder…

– Je l’espère.

Roumia et Marmouset laissèrent Tippo-Runoivre-mort dans la cabine et montèrent sur le pont.

La nuit était claire et la lune brillait auciel.

Une barque descendait la Tamise et semblaitvenir droit sur le West-India.

– Voilà le maître, murmura Marmouset.

Tous deux attendirent pleins d’anxiété. Labarque approchait.

Elle passa près du navire et ne s’arrêtapoint.

Ce n’était pas lui.

– Il me semble, dit le maître timonier,s’approchant à son tour de Marmouset, que le maître se faitattendre. Il est plus de minuit.

Marmouset ne répondit pas. L’inquiétudecommençait à le gagner, d’autant plus qu’il se souvenait maintenantque John Happer était arrivé à la Taverne du roi George endisant qu’il revenait de l’amirauté.

Les heures s’écoulaient.

Plusieurs barques descendaient le fleuve, maisaucune n’accostait le West-India.

Et Rocambole ne paraissait pas.

– Oh ! s’écria tout à coupMarmouset, il est arrivé malheur au maître, certainement.

– Je le crains, murmura Roumia, non moinsanxieuse.

– Je vais aller à terre, continuaMarmouset. Il faut que je le retrouve.

Et s’approchant de Joseph Couturier :

– Fais mettre le canot à l’eau, luidit-il.

Mais en ce moment, on entendit un battementd’ailes dans les airs, et, levant la tête, à travers les premièresclartés de l’aube, Marmouset et Roumia aperçurent un oiseau quiplanait au-dessus du pont.

– Ma colombe ! s’écria Roumia.

– Un message du maître, exclama Marmousetjoyeux. La colombe se reposa d’abord sur le grand mât, puis elledescendit en voletant et vint s’arrêter sur l’épaule de Roumia.

Elle avait un billet sous l’aile.

Tous deux s’en emparèrent et Marmouset lutd’une-voix émue, ces lignes tracées au crayon :

 

« Je suis prisonnier. Mais percer un murde prison n’est pour moi qu’un jeu ; ne vous inquiétez pas demoi.

« Jetez à fond de cale Tippo-Runoendormi.

« Levez l’ancre et faites voile pour leHavre.

« Je vous rejoindrai.

« ROCAMBOLE. »

 

– Que faire ? murmura Roumia.

– Obéir, répondit gravement Marmouset.Est-ce que le maître a jamais manqué à sa promesse ? Il nousrejoindra. Partons.

Et le West-India se couvrit de voileset descendit majestueusement la Tamise, emportant Tippo-Runoendormi et les trésors volés par lui.

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