Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 17

 

Nadir poursuivit :

– J’étais au seuil de cette pièceréservée aux femmes et que vous appelez, vous autres Européens, unboudoir.

Il était étincelant de lumières et un parfumpénétrant s’en échappait.

J’avais sous les pieds un riche tapis, autourde moi des meubles luxueux et des tentures d’un ton chaud etvoluptueux.

La porte s’était refermée derrière moi,j’étais seul.

Mais tout m’annonçait que la déesse de cetemple allait vernir ; et, en effet, quelques secondess’étaient à peine écoulées, que la tenture se souleva, démasquantune porte et, par cette porte, une femme entra rayonnante de beautéet de jeunesse.

C’était elle.

Elle me tendit la main en souriant et me diten anglais : « Vous êtes un parfait gentleman. »

Je la contemplais avec une sorte d’extase.

Jamais, je te l’ai dit, femme ne m’avait paruaussi belle.

Elle se plongea, nonchalante et voluptueuse,dans une immense bergère, qui était auprès de la cheminée, et mefit asseoir à ses côtés.

– Pardonnez-moi, me dit-elle, de vousavoir fait venir ici les yeux bandés. Vous êtes, j’en suis biencertaine, le plus loyal des hommes ; mais, en vous aimant, jecours un danger de mort.

– Un danger de mort ?m’écriai-je.

– Oui.

– Mais comment ?

– J’ai un mari, et un mari jaloux commeun tigre.

– Voulez-vous que je le tue ? luidis-je.

– Cette parole me plaît, merépondit-elle. Mais non, je ne veux pas qu’il meure.

Le boudoir ressemblait à une véritableserre.

Dans les embrasures des croisées, deux grandesjardinières contenaient des fleurs exotiques, et il ne me fut pasdifficile de les reconnaître à leur parfum.

C’étaient des fleurs de l’Inde.

– Elle sait qui je suis, pensai-je, etc’est une délicate attention de sa part.

Mais le parfum des fleurs était si pénétrantqu’il me montait peu à peu à la tête, et que ma raison commençât às’alourdir.

Elle me tenait toujours les mains et me disaiten souriant à m’enivrer :

– Je ne vous ai vu qu’une heure hier, etvoici que mon cœur est à vous, et que je suis prête à devenir votreesclave.

Mais, reprit-elle après un silence quej’employai à lui prodiguer mille caresses, je suis capricieuse.

– En vérité ! lui dis-je.

– Qui sait si je vous aimerailongtemps ?

Et elle continuait à sourire.

– Et vous, fit-elle encore,m’aimerez-vous ?

– Je vous aime déjà comme un fou.

– M’aimerez-vous longtemps ?

– Toujours.

Elle devint rêveuse.

– On m’a déjà dit cela plusieurs fois,fit-elle, et cependant… Après cela, ajouta-t-elle avec mélancolie,on dit que les Anglais sont plus constants. Nous verrons.

Je passai deux heures à ses genoux, enivré desa vue, enivré du parfum des fleurs.

Puis, je m’endormis auprès d’elle, étourdisans doute par les odeurs pénétrantes qui se dégageaient des deuxjardinières.

Cependant, il me sembla, au moment où mes yeuxse fermaient, qu’une porte s’était ouverte et qu’un homme pâle,hâve, un fantôme plutôt, s’était arrêté sur le seuil et meregardait avec une sorte d’épouvante et de fureur.

Mais c’était une hallucination sans doute, etmon corps demeura rebelle à ma pensée qui survivait encore à cetengourdissement général.

Mes yeux se fermèrent sous le poids d’un lourdsommeil.

Quand je les rouvris, une sensation d’air vifet frais se fit sentir autour de moi et pénétra tout mon être.

J’étais en plein air, couché sur un banc devotre grande promenade de Paris que vous appelez lesChamps-Élysées.

C’était le matin, le soleil était à peinelevé.

Je m’éveillai, un peu engourdi et la têtelourde encore, cherchant à rassembler mes souvenirs épars de lanuit.

En mettant les mains dans mes poches, j’ytrouvai une lettre.

Elle était en tout semblable à celle quej’avais reçue la veille au matin. Je l’ouvris et je lus :

 

« Ou nous ne nous reverrons jamais, ouvous accepterez mes conditions.

« Voyez si l’amour que je vous ai inspirépeut vous donner la force de m’obéir.

« Vous ne chercherez pas à savoir qui jesuis : vous ne prononcerez jamais mon nom.

« Si étranges que soient les choses quevous veniez à entendre, vous ne chercherez point à lescomprendre.

« Si cela vous va, soyez ce soir à lamême heure qu’hier derrière la Madeleine.

« Vous trouverez la même femme et la mêmevoiture.

« Au revoir ou adieu.

« ROUMIA. »

 

– J’irai, me dis-je.

D’abord, j’étais encore enivré de sa beauté etde ses caresses.

Ensuite, je me souvenais vaguement de ce bruitde portes que j’avais entendu, de ce fantôme que j’avais cru voir,et une curiosité ardente s’était emparée de moi.

Nadir, en prononçant ces derniers mots, avalaune nouvelle tasse de thé et continua :

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer