Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 18

 

Le soir, j’étais au rendez-vous.

Comme la veille, la vieille femme me banda lesyeux, au moment où je montais en voiture.

Puis, comme la veille, la voiture partit augrand trot.

Tandis que nous roulions, je réfléchissais etme disais :

– Cette femme qui consent à m’aimer à lacondition que je ne pénétrerai pas ses secrets, est, après tout,dans son droit. Pourquoi ne lui obéirais-je point ?

En me tenant ce langage, j’étais évidemmenttrès sincère, et tant que la voiture fut en marche je me fis lesplus beaux serments de discrétion.

Enfin elle s’arrêta.

Alors la femme voilée me prit de nouveau parla main et m’entraîna à l’intérieur de cette maison mystérieusedans laquelle je savais comment on entrait, et d’où j’étais sortila veille, sans en avoir conscience.

Tout se passa exactement de la même façon.

Mon bandeau devint tout à coup transparent,une atmosphère tiède et parfumée m’enveloppa, mon guide m’abandonnaen me disant : « Ôtez votre bandeau, » et j’entendisle bruit d’une porte qui se refermait.

Alors j’arrachai le foulard et regardai autourde moi.

J’étais dans le boudoir où la belle femme auxcheveux d’or m’avait reçu la veille.

De nouveau, je me trouvais seul.

Les jardinières étaient à leur place, dans lesembrasures de croisées.

Je m’en approchai et me mis à examiner lesfleurs.

Il ne me fut pas difficile de les reconnaîtrel’une après l’autre.

Chacune d’elles avait une propriété somnifèreincontestable.

– J’aurai beau lutter, résister,pensai-je, il me faudra, comme hier, m’endormir dans une heure oudeux. Mais demain…

Et un sourire vint à mes lèvres.

En effet Roumia, qui savait si bien se servirdu parfum des fleurs, ignorait peut-être qu’il existait des moyens,pour nous autres Indiens, de paralyser leur influence.

Je me résignai donc à attendre au lendemainpour pénétrer ce mystère dont elle s’enveloppait.

J’étais seul depuis dix minutes, lorsqu’elleparut.

Elle me parut plus belle encore que laveille.

Son sourire enivrait, ses lèvres respiraientle plaisir ; elle avait un regard pudique et provocant à lafois qui acheva de me tourner la tête.

Les choses se passèrent exactement comme laveille.

Ma tête s’alourdit peu à peu, tandis queRoumia me prodiguait ses caresses ; ma raison s’envola etrêve, ou réalité, le fantôme que j’avais déjà vu reparut.

Cependant, soit que ma volonté eût lutté pluslongtemps, soit que les fleurs eussent eu moins d’influence, soitenfin que le fantôme fût venu plus tôt, je le vis plusdistinctement et j’entendis, quand mes yeux se fermèrent, lesquelques mots qu’il échangea avec Roumia.

– Tu seras donc sans pitié pourmoi ! disait-il d’une voix lamentable.

Et Roumia répondait par un éclat de rirestrident et moqueur.

– Tu sais pourtant que je t’aime,poursuivait-il.

J’entendis un bruit sec, une manière decraquement ; et je compris qu’il était tombé à genoux.

De tous mes sens paralysés, il ne me restaitque l’ouïe qui résistait encore à un engourdissement général.

Le fantôme continuait :

– Ne te suffit-il pas de résister à monamour, faut-il encore que tu me donnes l’horrible spectacle dubonheur d’un autre ?

Tu n’es pas une femme, tu es unmonstre ?

Et Roumia riait de plus belle.

J’essayai vainement d’ouvrir les yeux ;et mes oreilles commençaient à bourdonner et la paralysie lesgagnait peu à peu.

Bientôt les deux voix du fantôme, qui avait derauques sanglots et des cris de désespoir, et de la femme auxcheveux blonds, qui riait et raillait, ne me parvinrent plus quecomme des bruits confus qui finirent par devenirinintelligibles.

Le sommeil arriva et ne cessa qu’au matin sousune impression d’air frais.

J’étais, comme le jour précédent, couché surun banc des Champs-Élysées.

On avait glissé dans ma poche une secondelettre.

Celle-là ne contenait que ces mots :

 

« À ce soir, même heure : jet’aime !

« ROUMIA. »

 

Je rentrai à mon hôtel.

– Ce soir, me dis-je, je saurai lavérité.

Tout Indien possède des connaissanceschimiques assez étendues.

Je sais que certains poisons, certaines odeurssoporifiques se neutralisent.

Je savais, moi, que le mélange de certainessubstances, habilement préparé, m’empêcherait de subir l’influencesomnifère à laquelle j’avais succombé deux nuits de suite.

Je pris donc le parti de retourner unetroisième fois au rendez-vous que me donnait Roumia. Seulement,après m’être procuré diverses drogues chez différents pharmaciens,je préparai mon petit breuvage, que je mis dans ma poche enfermédans une fiole de deux pouces de longueur.

Le soir venu tout se passa exactement de lamême manière.

Je montai dans la voiture, la femme voilée meconduisit, les yeux bandés, et une heure après, je me trouvai dansle boudoir de Roumia.

Cependant, il me sembla que les parfums quim’arrivaient n’étaient plus les mêmes.

Et, ayant arraché mon bandeau, je m’approchaides jardinières.

En effet, elles contenaient des fleursnouvelles et qui, celles-là, m’étaient inconnues.

Je savais le moyen de combattre l’influencedes autres, mais celles-là…

Sans doute Roumia m’avait deviné, et une foisencore je me trouvais en son pouvoir.

Mon breuvage était inutile.

Nadir s’interrompit encore et medit :

– Puisque tu connais cette femme, tu saisce dont elle est capable.

Je fis un signe de tête affirmatif et Nadircontinua :

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