Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 48

 

Nous l’avons dit, John Happer était prudent,il tenait à la vie, et, en dehors de son métier de marin, il nes’exposait pas à la légère.

Aussi, en présence du stylet de Rocambole, selaissa-t-il garrotter de la meilleure grâce du monde.

Calcraff, qui ne se mêlait de rien, eutcependant l’obligeance de prendre un flambeau pour éclairerRocambole, le maître timonier et Marmouset dans l’escalier de lacave.

Dix minutes après, John Happer avait pourdomicile une futaille vide, en perspective un coup de poing deCalcraff s’il criait, et pour espérance la promesse de la libertédans dix jours.

Cela fait, Rocambole et ses deux compagnonsremontèrent dans la salle, firent disparaître toute trace de lutteet attendirent les dix matelots qui arrivèrent bientôt à lafile.

Le timonier les présenta au faux John Happerl’un après l’autre ; et aucun d’eux ne s’avisa un seul instantde soupçonner qu’il n’avait pas devant lui le vrai capitaine duWest-India.

– Tu as mes ordres, ditRocambole à Joseph Couturier.

– Oui, capitaine.

– Rendez-vous à bord et attendez-moi, cesoir, à minuit, en dehors du bassin.

En même temps, et comme les matelots sortaientsur les pas de Joseph Couturier, Rocambole prit Marmouset par lebras et se mit à causer avec lui.

– Est-ce qu’il est des nôtres ?demanda un matelot au timonier en montrant Marmouset.

– C’est notre commis aux écritures,répondit ce dernier.

– Tu comprends pourquoi je ne veux pasfaire mon apparition à bord, en plein jour, disait Rocambole àMarmouset.

– Parfaitement.

– Quand vient le soir, Tippo-Runo soupeet se grise. Quand il est gris, il dort.

– Bien.

– À bord tâche d’échanger un regard avecRoumia.

– Bon !

– Et fais-lui comprendre qu’il seraitutile d’aider l’ivresse de Tippo-Runo par un léger narcotique.

Marmouset fit un signe de tête affirmatif.

– S’il est endormi quand je monterai àbord, tout ira bien.

– Est-ce tout ?

– Tout absolument. Va-t’en.

Le timonier, Marmouset et les dix matelotsquittèrent la taverne.

Rocambole y demeura quelque temps encore,causant tranquillement avec Calcraff.

Puis il passa dans cette salle qui lui servaitde vestiaire, et il en ressortit un quart d’heure après, redevenuparfait gentleman.

Alors il se dirigea vers les beaux quartiersde Londres, et quand il fut dans le Strand, il entra dans un bureautélégraphique.

Puis il expédia la dépêche suivante :

 

Madame Vanda Kraïleff, hôtel de Belgique,Folkstone.

 

« Affaire conclue. Vous partir avecenfant et Milon. Train de nuit pour France.

« AVATAR. »

 

– Il ne rentra pas à son hôtel tout desuite, s’en alla déjeuner dans Piccadilly, puis alla lire lesjournaux au club, dans Pall-Mall, et finit par y dîner.

– Il y a bien longtemps, pensait-il, enécoutant les hâbleries d’un gentleman de province, son voisin detable, grand chasseur de renards, – il y a bien longtemps que jen’ai eu une journée tout entière à me croiser les bras.

En effet, Rocambole n’avait plus rien à faireavant d’aller prendre le commandement du West-India, rien,si ce n’est d’entrer à l’hôtel de Bristol et d’y prendre différentspapiers et son sac à argent.

Il s’y rendit vers huit heures.

Comme-il traversait la cour, une femme enhaillons se dressa devant lui.

C’était l’Irlandaise gigantesque.

– Que me veux-tu ? lui demanda-t-ilétonné, car il l’avait largement rétribuée le matin et ne comptaitplus la revoir.

– Je vous ai cherché partout, luirépondit-elle.

– Pourquoi ?

– Chez Calcraff, dans le Waping, dansWhite-Chapel. Enfin, je suis ici depuis midi.

– Eh bien ! qu’y a-t-il ?

– La tourterelle est revenue.

Rocambole tressaillit et fronça lesourcil.

– Avec un message ?

– Oui.

– Où est-il ?

– Le voilà.

Et l’Irlandaise lui mit dans la main un petitbillet plié en quatre.

Rocambole n’osa s’approcher du bec de gaz quibrûlait dans la cour.

Il demanda sa clef, fit signe à l’Irlandaisede le suivre et monta dans sa chambre.

Là, il ouvrit le billet et lut enpâlissant :

« John Happer sait que vous êtes àLondres.

« Il vous a dénoncé à l’amirauté.

« Ne rentrez pas à l’hôtel deBristol. »

– Oh ! oh ! dit Rocambole,voilà un message qui a sa valeur. Il s’agit de décamper au plusvite.

Et tandis qu’il prenait à la hâte son sac devoyage, son paletot et ses papiers, il dit àl’Irlandaise :

– Qu’as-tu fait de la colombe ?

– Je l’ai gardée, pensant que vousrépondriez.

– Tu as bien fait, partons.

Mais Rocambole n’eut pas le temps de sediriger vers la porte.

On frappa, et il entendit ces motsdistinctement :

– Au nom de la loi, ouvrez !

– Diable ! pensa Rocambole,l’amirauté n’a pas perdu de temps.

Et avant d’ouvrir, il dit rapidement àl’Irlandaise :

– Je vais écrire un billet. Tul’attacheras sous l’aile de la colombe et tu la lâcheras demain aupetit jour.

Puis il ouvrit et se trouva face à face avecdeux officiers de police.

– Le major Avatar ? dit l’und’eux.

– C’est moi.

– Monsieur, répondit le policeman, nousavons mission de vous arrêter.

– Moi ?

– Vous, monsieur ; voilà lemandat.

– De quel crime suis-jecoupable ?

– Vous êtes accusé d’avoir voulu, dans legolfe du Bengale, révolter l’équipage du brick leWest-India.

– Bah !

– Et d’avoir essayé de le fairesauter.

– Messieurs, dit poliment Rocambole, il ya évidemment méprise, mais comme ce n’est pas vous que je doisconvaincre, je suis prêt à vous suivre.

Permettez-moi seulement d’écrire deux lignes àun de mes amis qui viendra certainement me réclamer.

Et il prit son carnet, traça quelques mots enfrançais et au crayon sur un feuillet qu’il déchira et remit àl’Irlandaise.

Puis, s’adressant aux policemen :

– Marchons, maintenant, messieurs,dit-il.

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