Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 44

 

Rétrogradons maintenant de quelques heures etreportons-nous au moment où le canot remontait la Tamise, portantTippo-Runo et la Belle Jardinière la tête couverte d’un capuchon delaine.

On s’en souvient, une grosse barque à charbonremontait aussi le cours de la Tamise.

Un homme qui se trouvait à la barre avaitdétourné la tête quand le canot avait passé bord à bord.

Enfin un chien qui se tenait à l’avant de labarque sur un signe de l’homme, était tombé à l’eau et s’était misà nager dans le sillage du canot.

Un autre personnage était alors monté del’intérieur de la barque sur le pont.

C’était Marmouset, – comme le premier, on l’adeviné sans doute, n’était autre que Rocambole.

– Il a passé près de nous, dit celui-ci,sans nous voir.

– Il est tout entier à ses amours, sansdoute.

– Ou à ses trésors.

– Enfin Roumia est sur latrace ?

– C’est au moins ce que dit le billetapporté par la tourterelle.

– Encore un joli moyen que vous aveztrouvé là, maître, fit Marmouset en souriant.

– Il n’est pas de moi, réponditRocambole. On s’en servait au moyen âge et on s’en sert encore danstoutes les Flandres.

– Bon ! mais le chien ?…

– Le chien est un superbe animal que j’airamené de Terre-Neuve où je me suis arrêté en revenant de l’Inde.Sois tranquille, au lieu de remonter dans Londres, le canotdescendrait-il la Tamise et traverserait-il la Manche que Love nele quitterait pas.

– Sans doute, mais…

– Mais, reprit Rocambole, quand le canotsera arrêté il reviendra.

– Ah !

– Et il nous conduira jusqu’à l’endroitoù il l’a laissé. La barque remontait toujours péniblement lecourant dont tout à l’heure le canot de Tippo-Runo semblait sejouer.

Marmouset et Rocambole n’étaient plus, commela veille, d’élégants gentlemen vêtus avec une exquisedistinction.

Ils avaient le visage et les mains noircis etportaient de grosses vareuses brunes et le chapeau ciré.

– Maître, reprit Marmouset, je comprendsque Tippo-Runo n’ait pas mis Roumia dans sa confidence jusqu’à cejour.

– Mais ce que tu ne comprends pas, c’estque moi, dit Rocambole, je n’aie pu découvrir, où sont lestrésors ?

– Justement.

– Voici près d’un mois que je cherche etne trouve rien, continua le maître. Il est positif que Tippo-Runon’a déposé ses fonds chez aucun banquier, ni à Paris, ni à Londres,ni à Édimbourg, ni à Dublin.

– Il n’est pourtant pas homme à lesenfouir.

– Non, mais il attend…

– Quoi donc ?

– Que la curiosité publique se soitcalmée à son endroit et qu’on ne s’occupe plus de lui.

– Qu’est-ce que cela peut luifaire ?

– Il craint en outre que les derniersévénements de l’Inde, auxquels il a été mêlé, ne soient présentéssous leur vrai jour à l’amirauté.

– Ah !

– Et dans ce cas, il aime autant laisserson argent à l’abri.

– Enfin, où peut-il l’avoircaché ?

– Un moment, dit encore-Rocambole, j’aipensé que les trésors étaient demeurés à bord duWest-India, qui se trouve à l’ancre dans le bassin desdocks.

– Eh bien !

– Mais j’ai reconnu que cette suppositionn’était guère admissible.

– Pourquoi ?

– Parce que John Happer serait homme àtout déménager par une nuit sombre, ou mieux encore à lever l’ancreet à prendre la mer pour quelque destination inconnue.

Tandis que Rocambole parlait ainsi et que labarque continuait sa marche pesante, un bruit traversal’espace.

C’était un long aboiement.

– Ah ! dit Rocambole, voici Love quirevient.

En effet, peu après, le chien apparut, nageanttoujours, dans le cercle de lumière décrit par le fanal de proue dela barque.

– Il paraît que le canot n’est pas alléloin, dit Marmouset.

Le chien ayant aperçu son maître, tourna surlui-même, et se remit à monter le courant.

Seulement il nageait lentement pour que labarque pût le suivre.

Cela dura une demi-heure environ.

– Hé ! mais, dit tout à coupRocambole, nous voici dans le bassin des docks.

– Bon ! fit Marmouset.

– Et voilà le West-India.

Le brick, en effet, se balançait sur sesancres dans le bassin ; et le chien s’était mis à nager àl’entour.

L’œil perçant de Rocambole eut bientôt aperçule canot qu’on avait amarré au bas de l’échelle de tribord.

– Me serais-je trompé ?murmura-t-il, et les trésors seraient-ils à bord dunavire ?

Sur ces mots, il largua l’unique voile de labarque.

– Quel faites-vous, maître ? demandaMarmouset.

– Je jette l’ancre.

– Est-ce que nous allons resterici ?

– Oui.

– Jusque quand ?

– Je n’en sais rien.

Et Rocambole s’enveloppa dans son caban et secoucha sur le pont de la barque, désormais immobile, à troisencablures du West-India.

Le chien remonta à bord à l’aide d’une cordeque Marmouset lui jeta et qu’il saisit avec les dents.

Un quart d’heure après, Rocambole, quifeignait de dormir, entendit un léger bruit et leva la tête.

Un homme descendait dans le canot duWest-India, une lanterne à la main.

Rocambole le reconnut.

C’était John Happer le capitaine.

– Le voilà tout à fait guéri de sesblessures, murmura ; le maître à l’oreille de Marmouset. Ilest leste comme un gabier.

– Quel est cet homme ?

– John Happer.

– Est-ce que nous allons lesuivre ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que, s’il quitte son bord, il yreviendra.

En effet, moins d’une heure après, le canotqui s’était éloigné rapidement du West-India, était deretour.

Rocambole vit monter sur le pont du navireJohn Happer, qui portait à la main la cage de la tourterelle.

– Oh ! oh ! dit-il à Marmouset,Roumia ne s’endort pas.

– Comment ?

– Elle a envoyé chercher sonmessager.

– Ah !

– Et au point du jour, nous aurons de sesnouvelles.

– Alors, qu’allons-nous faire ?

– Tu vas rester ici et observer tout cequi se passera à bord.

– Et vous ?

– Moi je vais à terre attendre la colombeà l’endroit où elle vient d’ordinaire.

Et Rocambole, se débarrassant de son caban, sejeta résolument à l’eau, trouvant cela plus simple et plus commodeque de manœuvrer la barque vers le quai.

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