Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 16

 

J’étais donc à Paris depuis trois jours,continua l’Indien, étudiant les mœurs et les coutumes de ce paysque je ne connaissais pas, et me montrant partout, dans lespromenades publiques, dans les théâtres et les cafés.

Un soir, je me rendis à l’Opéra.

Dans une loge d’avant-scène, il y avait unefemme dont la beauté eût éclipsé celle des houris que notre dieunous réserve après notre mort dans son paradis.

Je la regardai, et comme j’étais jeune encore,ardent et enthousiaste, je me pris à songer qu’il ne payerait pastrop cher son amour celui-là qui donnerait tout son sang pourquelques heures de volupté.

Comme je la contemplais avec extase, jem’aperçus qu’elle me remarquait.

On m’a dit souvent que j’ai dans le regard unepuissance mystérieuse qui courbe les âmes les plus altières.

Ce soir-là, cette puissance fut plus grandeencore, car, tout à coup, il me sembla que cette femme palpitaitcomme une colombe fascinée par un basilic, et que si je voulaisfaire un signe elle traverserait la salle pour venir à moi et medire :

– Ordonne, j’obéirai.

La représentation terminée, je sortis, la têteen feu, me disant :

– Les femmes d’Europe sont perfides. Jevais demander l’oubli aux fumées du hachisch. Je rentraidonc à l’hôtel Meurice où j’étais descendu sous mon nom anglais,sir Arthur Goldery, nom que je porte ici, du reste, dans la villeblanche, où tout le monde me prend pour un parfait gentleman et nese doute pas que je suis le terrible Nadir, le chef des Fils deSivah.

Mais au lieu de me mettre au lit, jem’accoudai à une fenêtre, laissant errer mes regards sur ce vastejardin qui s’étend sous le palais de votresouverain.

Les heures s’écoulèrent, le jourvint. Je n’étais point calmé encore, et une fièvre brûlante medévorait.

Reverrai-je jamais cette femmemerveilleuse ?

Aux premiers, rayon du soleil onm’apporta un billet.

Je ne connaissais personne à Paris.Qui donc pouvait m’écrire ?

Je rompis le cachet avec un certainétonnement et je lus ces lignes écrites enanglais :

 

« Si la femme qui était hier, àl’Opéra, dans une avant-scène et portait des bluets dans sescheveux blonds, a fait quelque impression sur sir ArthurGoldery ; – si sir Arthur Goldery est un gentleman discret, etbrave, il peut se trouver ce soir à dix heures précises, derrièrel’église située à l’extrémité du boulevard et qu’on appelle laMadeleine.

« Là, une femme, qui n’est pascelle qu’il a vue, mais qui est envoyée par elle, s’approchera delui. Sir Arthur Goldery la suivra ».

 

Le billet ne portait pas designature.

Je crus que j’allais mourir de joie,et je passai toute la journée en proie à une impatienceintraduisible.

Enfin la journée s’écoula, la nuitvint et avec elle l’heure fixée pour le mystérieuxrendez-vous.

Je fus exact ; presque aussitôtune femme qui était voilée et dont je ne pus voir le visage,s’approcha de moi.

– Êtes-vous sir Arthur ?me dit-elle en anglais.

– Oui, répondis-je d’une voixémue.

– Consentirez-vous à mesuivre ?

– Jusqu’au bout du monde,répliquai-je.

Elle me prit par la main etm’entraîna vers un coin de la place.

Là, stationnait une voiture danslaquelle elle me fit monter.

Alors elle s’assit à côté de moi,baissa les glaces et me dit :

– Il faut que vous vouslaissiez bander les yeux. Et elle me montrait unfoulard.

– Pourquoi ? luidemandai-je.

– Parce que vous ne devez passavoir où je vous conduis.

– Bandez-moi les yeux,répondis-je je suis prêt à tout.

Elle me noua le foulard sur levisage et la voiture se mit en marche.

Elle roula plus d’uneheure.

Où allais-je ? je ne le savaispas.

Enfin au bruit sec du pavé succédaun bruit plus sonore.

Nous passions sans doute sous unevoûte.

– Nous sommes arrivés, me ditma compagne.

En effet la voitures’arrêta.

– Donnez-moi la main, me ditencore cette femme.

– N’allez-vous donc pas m’ôtermon bandeau ?

– Non, pasencore.

Je descendis. Elle me prit la mainet m’entraîna.

Un sable fin criait sous mespieds ; après le sable, je sentis les marches d’un escalier,en même temps qu’une atmosphère plus chaudem’enveloppait.

Puis je compris que je foulais unépais tapis, et, enfin, une porte s’ouvrit et, à travers le foulardqui couvrait mes yeux, je sentis une chaude lumière quim’environnait tout à coup.

– Ôtez votre bandeau, me dit macompagne.

En même temps sa main abandonna lamienne, et j’entendis le bruit de ses pas quis’éloignaient.

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