Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 19

 

Il ne fallait donc plus songer à faire usagedu breuvage que j’avais préparé.

D’un autre côté je ne voulais me livrer àaucun acte de-violence.

Je me crois doué d’un grand esprit de justiceet je me disais qu’après tout Roumia avait bien le droit de mettreune condition quelconque à ses faveurs.

Mais quel était cet homme hâve, pâle,décharné, cet homme qui n’avait plus rien d’humain et dont elleparaissait être le bourreau ?

C’était là ce que je voulais savoir à toutprix.

Il était évident pour moi que les fleursnouvelles auraient, comme les autres, le pouvoir funeste decorrompre peu à peu l’atmosphère et de m’enivrer de nouveau.

– Mais comment leur résister ?

Je fis toutes ces remarques, toutes cesréflexions en quelques minutes ; et mon parti fut bientôtpris.

Les jardinières étaient placées devant lescroisées.

Celles-ci se trouvaient masquées par d’épaisrideaux de soie.

J’écartai une des jardinières et je me glissaisous les rideaux.

J’avais au doigt un diamant taillé àfacettes.

Avec ce diamant, je coupai un des carreauxlestement et sans bruit, et l’air extérieur pénétra à flots dans leboudoir.

Je posai la vitre coupée par terre, jerefermai les rideaux, replaçai la jardinière et retournai m’asseoirsur le divan qui garnissait un des panneaux du boudoir.

Roumia n’avait point paru encore.

Il me sembla même que je l’attendais pluslongtemps que les deux jours précédents.

Enfin la porte s’ouvrit et elle entra.

Mais cette fois, le sourire avait abandonnéses lèvres et son œil était irrité.

Néanmoins elle vint s’asseoir auprès de moi etme dit froidement :

– Sir Arthur Goldery, vous êtes unlâche.

À ce mot je me levai tout frémissant.

– Madame… balbutiai-je.

– Vous êtes un lâche, poursuivit-elle enme contenant d’un geste impérieux, parce qu’après avoir accepté lasituation que je vous faisais, vous avez manqué à la promesse quej’avais exigée de vous.

Je la regardais avec une sorted’étonnement.

– Oh ! dit-elle avec un ricanementféroce qui me rappela l’accent qu’elle avait eu la veille, tandisque le fantôme la suppliait et que moi je m’endormais, ah !vous avez voulu savoir !…

– Eh bien ! oui, lui dis-je.

– Vous avez coupé un carreau. Cette nuit,poursuivit-elle, vous ne vous endormirez point. Cette nuit, vousverrez le fantôme.

Et elle riait d’un rire menaçant en parlantainsi.

– Vous le verrez, reprit-elle, mais cesera pour la dernière fois.

Les reproches de cette femme étaient justes.Je n’avais pas le droit de sonder les mystères que j’avais promisimplicitement de respecter.

Roumia reprit :

– Ah ! vous voulez savoir, sirArthur Goldery, quel est l’homme que je torture ? Ehbien ! soyez satisfait. Cet homme m’aime et, par amour pourmoi, il a tué l’homme que j’aimais. Êtes-vous satisfait ?

J’eus honte de ma curiosité et je compriscette femme, alors.

– Pardonnez-moi, lui dis-je, je vous jureque désormais…

Elle m’interrompit avec son éclat de riremoqueur.

– En vérité ! me dit-elle, tu parlesd’avenir, comme si l’avenir était fait pour toi.

Et soudain elle saisit un gland de sonnette etle tira violemment.

Que voulait-elle faire ?

Tandis que je la regardais, stupéfait, elle medit :

– Sir Arthur Goldery, je n’aime pas quemes secrets courent le monde. Vous allez mourir…

À son coup de sonnette la porte s’étaitouverte et deux hommes s’étaient jetés sur moi.

Je suis robuste, comme tu sais, maisl’agression avait été si rapide, si inattendue, que je n’avais paseu le temps de me mettre sur la défensive.

En quelques secondes, je me trouvai terrassé,garrotté et réduit à l’impuissance.

Je n’avais pas même eu le temps de voir mesagresseurs.

Roumia leur dit :

– Vous savez que je n’aime pas lesang : étranglez-le.

L’un d’eux me passa autour du cou ce mêmefoulard qui, tout à l’heure, me couvrait les yeux.

Mais au moment où il allait m’en faire uncollier mortel, mes yeux rencontrèrent les siens.

Un double souvenir traversa son esprit et lemien, et un nom jaillit de mes lèvres :

– Nagali !

– Le maître ! répondit-il.

Et sa main lâcha le foulard.

En même temps, il se tourna vers son compagnonet répéta en langue indienne :

– Le maître !

Et Roumia stupéfaite vit ces deux hommes medébarrasser de mes liens et, tandis que je me levais, tomber àgenoux devant moi en posant la main sur leur cœur en signe desoumission et de respect.

– Misérables ! s’écria-t-elle, quefaites-vous ?

– C’est le maître, répondit Nagali.

Et me regardant, il me dit :

– Veux-tu que je tue cettefemme ?

Mon œil étincelait.

Je n’étais plus sir Arthur Goldery. J’étaisNadir l’Indien, et Roumia, courbée sous mon regard, demandait grâceà son tour.

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