Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 42

 

Pendant toute la journée, Roumia ne revit pasle major.

Elle ne sortit pas de sa chambre, bien queNeptuno lui eût offert de la laisser descendre au jardin pourprendra l’air.

Une heure après son départ, la colombe étaitrevenue.

Elle s’était abattue sur le rebord de lacroisée demeurée ouverte.

Le billet que Roumia avait attaché au rubanqui lui servait de collier avait disparu.

En revanche, le gentil volatile avait sousl’aile un autre billet qui ne renfermait que ces deuxmots :

On veille.

La journée s’écoula. À l’entrée dela nuit, Tippo-Runo revint.

 

Le brouillard, par extraordinaire, était moinsépais que les jours précédents, et la Belle Jardinière putapercevoir fort distinctement, sur la Tamise, le canot dans lequelTippo-Runo était venu.

Deux matelots le montaient.

Car ce n’était point une de ces barques platesqui font le service entre les deux rives du fleuve et servent àtransporter les ouvriers des ports.

C’était le canot d’un navire de commerce, etsur la proue on lisait en lettres blanches, sur un fond noir, lenom de West-India.

– Chère belle, dit le major enentrant, êtes-vous toujours décidée ?

– Toujours.

– Vous voulez voir mes trésors ?

– C’est à cette condition seulement,répondit-elle, que je ne vous quitterai pas.

– Qu’il soit donc fait ainsi que vous ledésirez.

Et le major déposa sur un meuble un petitpaquet qu’il avait sous le bras.

– Qu’est-ce que cela ? demanda laBelle Jardinière.

– Vous allez voir.

Tippo-Runo développa le paquet, et Roumia vitun capuchon de grosse laine qui devait se serrer autour du cou parune gaine, et au milieu duquel était percé un trou unique.

Ce trou était placé, non vis-à-vis les yeux,mais en face de la bouche.

Il était destiné, non à voir, mais àrespirer.

– Que voulez-vous donc faire decela ? fit Roumia.

– C’est une coiffure que je vousapporte.

– À moi ?

– Sans doute.

– Mais dans quel but ?

– Ne vous ai-je pas dit que jem’entourais de quelques précautions ?

Et Tippo eut un sourire railleur.

– Je suis persuadé, reprit-il, que quandvous verrez mes trésors, vous les trouverez respectables ;mais enfin, il faut tout prévoir. Vous pouvez avoir un regaind’amour pour l’homme dont vous me parliez ce matin.

– Eh bien ?

– Et m’abandonner, si riche que je sois…Je ne veux pas que vous puissiez savoir en quel lieu je vous aiconduite.

– Voilà qui m’est parfaitementindifférent, dit-elle.

Et elle tendit complaisamment la tête àTippo-Runo pour qu’il la couvrît du capuchon.

Mais auparavant elle avait jeté, par lacroisée ouverte, un rapide regard sur la Tamise.

À vingt brasses du canot que montait tout àl’heure Tippo-Runo était amarrée une grosse barque pontée, decelles qui servent à transporter du charbon.

Cette barque était là depuis peu, car Roumiala voyait pour la première fois.

Un homme qui fumait était sur le pont ettenait la barre.

L’unique voile carrée de la grosse barques’enflait péniblement.

– Si ce sont eux, pensa Roumia,ils auront de la peine à nous suivre.

Tippo lui mit le capuchon sur la tête, et ellen’opposa aucune résistance.

– Maintenant, dit-il en la prenant par lamain, suivez-moi.

Roumia descendit l’escalier, soutenue parTippo-Runo, elle foula le sable du jardin, puis le sol humide de laberge.

Alors Tippo la prit dans ses bras et l’assitau fond du canot.

Puis d’un ton de commandement :

– Nagez ! dit-il aux deuxmatelots.

Le canot se mit en marche, et comme il passaitauprès de la grosse barque à charbon, l’homme qui se tenait à labarre et que Roumia avait aperçu de la fenêtre, cet homme,disons-nous, tourna la tête, de manière que Tippo-Runo ne pût levoir.

Non seulement Tippo-Runo ne put le voir, maisencore, cette lourde embarcation qui ressemblait à toutes cellesqui transportent le charbon sur la Tamise, n’attira nullement sonattention.

Il ne vit pas même un gros chien deTerre-Neuve, noir et blanc, qui se tenait à l’avant de labarque.

Le canot filait bon train ; en quelquesminutes, il eut pris sur la grosse banque une avanceconsidérable.

Mais alors l’homme qui fumait fit un signe etle chien tomba à l’eau.

Puis, nageant sans bruit, plongeantquelquefois, l’intelligent animal se mit à suivre le canot.

**

*

Cependant Roumia étouffait sous son capuchon,et se trouvait plongée dans les ténèbres les plus épaisses.

Mais elle était résolue à aller jusqu’aubout.

D’ailleurs n’obéissait-elle pas à celui quiétait devenu son maître, en vertu d’un pouvoir mystérieux ?Rocambole ne lui avait-il pas ordonné de découvrir à tout prix lelieu où Tippo-Runo cachait ses trésors ?

La traversée fut longue.

Pendant plus d’une heure, Roumia entendit lebruit des avirons qui frappaient l’eau, avec une régularitéindiquant qu’ils étaient maniés par de vrais marins.

Puis enfin, le canot s’arrêta et un léger chocapprit à Roumia qu’il venait d’accoster un navire.

En même temps, Tippo-Runo la reprit dans sesbras.

Elle se sentit enlever, et, aux oscillationsqu’elle éprouva, elle comprit que son guide, tout en la portantd’une main, se cramponnait de l’autre à l’échelle de tribord.

Enfin il toucha le pont.

Un homme qui attendait Tippo-Runo en haut del’échelle lui dit :

– Tout est prêt, monseigneur.

– Nous sommes seuls ?

– Absolument seuls. J’ai envoyé tous meshommes à terre.

– Et la cabine ?

– Elle est disposée selon vos ordres.

– C’est bien, dit Tippo.

Roumia entendait tout cela, mais elle nevoyait rien.

Tippo l’entraîna jusqu’au grand panneau.

Ce ne fut que lorsqu’elle eut traversé lefaux-pont qu’il lui dit :

– Maintenant, vous pouvez ôter votremasque…

Roumia put alors regarder autour d’elle.

Elle vit l’homme qui avait adressé la parole àTippo-Runo en l’appelant monseigneur.

C’était John Happer, le capitaine duWest-India.

Le navire paraissait désert.

– Chère belle, dit Tippo-Runo, vous allezvoir que je ne suis pas un aventurier.

Il la fit entrer dans la cabine de JohnHapper.

Sous le lit, il y avait une natteindienne.

En soulevant cette natte, on mettait àdécouvert un panneau de boiserie.

Tippo pressa un ressort, le panneaus’ouvrit.

Alors Roumia put voir une excavation profondeménagée entre la cale et l’entrepont.

John Happer, qui tenait une lanterne à lamain, descendit dans cette cachette, et soudain, aux rayonnementsde cette lanterne, elle parut s’enflammer.

C’étaient les monceaux d’or et de pierreriesqui flamboyaient.

– Eh bien ! suis-je unaventurier ? répétait Tippo Runo d’un ton moqueur.

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