Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 9

 

Le fou, après avoir ouvert la porte, voulut larefermer, mais je me mis en travers.

En même temps, Nadir s’empara de lui et leterrassa.

Il n’opposa, du reste, qu’une faiblerésistance.

– Et Nadir me dit alors :

– Tu penses bien que, si nous refermonscette porte, nous ne pourrons plus la rouvrir.

D’un autre côté, il est dangereux de laisserles choses dans cet état. Car Tippo-Runo, persuadé que cette maisonrenferme un trésor, doit avoir posté dans les environs des hommeschargés de la surveiller, et il ne se bornera certainement pas à laperquisition déjà faite.

– Sans doute, répondis-je, mais commentfaire ?

Nadir réfléchit un moment et me dit :

– J’ai des hommes dévoués autour de moi,mais encore faut-il le temps de les réunir.

– Et ces hommes réunis, tu leur confierasla garde de cette maison ?

– Non, mais je leur ferai déménager toutcet or et toutes ces pierreries.

– Où les transporterons-nous ?

– Attends, pour que je te réponde, medit-il, que nous nous soyons débarrassés de cet homme qui nousassourdit de ses cris.

En effet, Hassan, étendu sur le dos, dans uncoin de la cave, ne se relevait pas ; mais il gesticulait,riait et pleurait.

Nadir remonta dans la maison et revint peuaprès, tenant une pipe à la main.

Il avait mis dans cette pipe un grain d’opiumet il la tendait à Hassan.

L’œil du vieux tailleur brilla de convoitise,il étendit une main avide, la saisit, en porta le tuyau à seslèvres, et s’accroupissant comme tes Orientaux, il se mit àfumer.

Dès lors, il se tut ; quelques minutesaprès, il était en extase.

Alors, Nadir s’assit sur un tonneau et medit :

– Écoute-moi bien. Les trésors que nousavons sous les yeux feraient la fortune d’un roi. Il faut que tuperdes l’espoir de les faire parvenir en Europe par les moyensordinaires. La douane anglaise visite les navires. Elleconfisquerait impitoyablement ces richesses.

– Il faut pourtant, répondis-je, que jetienne la promesse que j’ai faite à Osmany mourant.

– Sans doute.

– Et pour cela, il faut que j’emporte cetor en Europe.

Nadir secoua la tête :

– Va pour les pierreries, dit-il, maisquant à l’or, c’est inutile.

– Comment ?

– Laisse-moi d’abord te dire comment ilte sera facile d’emporter les pierreries.

– Je vous écoute.

– Les Fils de Sivah, dont jesuis le chef, sont aussi puissants, aussi riches que lesÉtrangleurs, leurs ennemis.

Comme eux, ils ont des affiliés parmi lesAnglais, des coreligionnaires mystérieux, des agents sûrs qui seconforment aveuglément aux ordres qu’ils reçoivent.

– Bon !

– Parmi les hommes sur qui les Filsde Sivah peuvent compter, il se trouve un capitaine de navireanglais qui a nom Jonathan.

Jonathan est mon esclave dévoué.

Il part pour Londres dans huit jours,emportant une cargaison de grains de Bizance.

Les gens de la douane viendront, la veille deson départ, sonderont les tonnes et les scelleront.

C’est dans ces tonnes que je cacherai lespierreries du rajah.

– Comment ferez-vous ?

– Je substituerai à l’une des tonnesordinaires une autre tonne dont toutes les douves serontcreuses.

– Alors pourquoi ne pas emporter l’or parle même procédé ?

– Parce que l’or tient trop de place etque d’ailleurs il est plus lourd que les pierreries.

– Fort bien. Mais alors comment envoyercet or en Europe ?

– Nous ne l’enverrons pas.

– Cependant…

– Nous le verserons dans le trésor deSivah qui est caché au cœur même de Calcutta, et que les Anglais nedécouvriront jamais.

En échange, poursuivit Nadir, je te donneraiun chèque d’une somme équivalente à celle que j’aurai reçue.

– Et ce chèque ?…

– Tu le présenteras à Londres à unemaison de banque qui nous sert de correspondant.

– En vérité !

– Et il sera religieusement payé, achevaNadir avec un accent de franchise qui ne me laissa plus aucun doutesur sa bonne foi et sa loyauté.

– Mais enfin, lui dis-je encore, il fauttoujours emporter d’ici ces richesses.

– Oui, et c’est là la difficulté.

Puis, après un moment de réflexion, Nadir medit :

– Il est impossible que tout cet or soitentré par la porte extérieure de la maison où nous sommes, sanséveiller l’attention de ceux qui avaient intérêt à observerHassan.

– Ce n’est pas une raison.

– Pourquoi ?

– Parce que, il y a deux jours,Tippo-Runo ignorait encore le nom et la demeure du dépositaire.

– C’est possible, répliqua Nadir, mais lapolice anglaise veille…

– Ensuite, ajoutai-je, ces richesses ontété amoncelées peu à peu.

– Je ne dis pas non. Cependant j’ai laconviction que cette maison a une autre issue.

Et, ce disant, Nadir entra dans la cachettequi était assez vaste et assez spacieuse pour qu’un homme y pûtfaire quelques pas en long et en large et s’y tenir debout.

Il se mit alors à sonder les murs avec sonpoing et tout à coup un bruit sonore se fit.

– Il y a là un creux, me dit-il.

Il prit son poignard et se mit à gratter lamaçonnerie. Bientôt une fente nous apparut et, avec cette fente,une autre pierre semblable à celle qui masquait à l’extérieur laserrure de la porte de fer. Nadir détacha cette pierre. Elle mitalors à découvert un verrou. L’Indien le fit jouer et, soudain, lefond de la cachette tourna sur des gonds invisibles, comme avaittourné la porte de fer avec son revêtement de maçonnerie.

Et alors, Nadir et moi, nous aperçûmes uneouverture noire et béante.

C’était un passage souterrain.

Où conduisait-il ?

C’était là ce qu’il fallait savoir surl’heure.

Je me retournai vers Hassan.

Mais il était absorbé dans la contemplation durêve opiacé.

Sois tranquille, me dit Nadir, il ne songerapas à refermer la porte. En route !

– Mais… où allons-nous ?

– Nous allons nous engager dans cesouterrain.

Et Nadir reprit la lampe que nous avions poséeà terre.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer