Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Chapitre 15

 

L’Inde, comme tous les pays bouleversés par laconquête et dans lesquels les invasions étrangères se sontsuccédées presque sans relâche, à travers les siècles, l’Inde,dis-je, est peuplée de différentes sectes religieuses etpolitiques.

Il y a les partisans de la dominationanglaise, et les Indiens qui repoussent cette domination.

Certaines régions tiennent à maintenir leurindépendance et obéissent à des chefs qu’ils nomment eux-mêmes.

D’autres se courbent sous le joug de princesindigènes, joug cent fois plus lourd que le joug anglais.

– C’est pour cela, continua Nadir, quedans la même rue de Calcutta tu rencontreras un adorateur du feu,un sectateur de la déesse Kâli et un musulman. C’est pour celaaussi que, la question religieuse masquant la question politique,tu trouveras des prêtres de Sivah qui ne croient pas à Sivah et desÉtrangleurs qui ne sont pas bien convaincus de l’existence de ladéesse Kâli.

Mais de toutes ces sectes religieuses, deuxseulement ont une puissance réelle : – la mienne et celle desThugs.

Tu as vu Ali-Remjeh, puisque tu l’as livré àl’Angleterre. Tu as pu t’assurer que c’était un Indien trèsgentleman.

Tu as connu à Londres sir George Stowe et sirJames Nively, et tu as pu te convaincre que les Étrangleurs sontgens de belles manières.

J’interrompis Nadir.

– Excusez-moi, lui dis-je, mais commentsavez-vous que j’ai connu sir James et sir George Stowe ?

Nadir eut un sourire mystérieux.

– Je suis arrivé à Londres trois joursaprès ton départ, il y a deux ans.

– Ah ! fis-je surpris.

– Là j’ai appris que de faux Fils deSivah avaient épouvanté les Étrangleurs.

J’arrivais pour les combattre, et ils avaientété battus déjà.

Alors, j’ai voulu savoir par qui.

Les Anglais et les Français, si habiles qu’ilssoient, sont des enfants auprès de nous en fait de police. Jen’étais pas à Londres depuis trois jours que je savais tout, grâceà deux Indiens que j’avais amenés avec moi.

– Comment ! m’écriai-je, vous savieztout ?

– Même ton nom.

Je ne pus me défendre d’un geste destupeur.

– Tu es Français, me dit Nadir, et tu tefais appeler d’un nom russe, le major Avatar, n’est-cepas ?

– Oui, c’est bien cela.

– Mais ton vrai nom est Rocambole.

Cette fois je reposai brusquement sur la tablema tasse de thé que je tenais à la main.

– Tu as été un grand criminel, poursuivitNadir.

– Ah ! vous savez aussicela ?

– Je sais tout te dis-je. Après avoirfait le mal, tu t’es converti au bien, et tu es un hommeintelligent et courageux.

Je m’inclinai devant cet éloge.

Nadir reprit :

– J’ai donc su à Londres tout ce que tuavais fait, et comment tu avais emmené à Paris sir George Stowe,l’ancien chef des Étrangleurs en Europe, tandis qu’une femme quit’est dévouée y attirait le nouveau chef, sir James Nively.

Tu as presque détruit à Londres la puissancedes Thugs, et la capture d’Ali-Remjeh, leur chef suprême, leur aporté le dernier coup en Europe.

Mais ils se reforment ici, et ilsredeviendront aussi dangereux et aussi terribles qu’auparavant.

– Alors, dis-je, interrompant une secondefois Nadir, vous m’avez suivi à Paris ?

– Pas tout de suite.

– Pourquoi ?

– Parce que j’organisais les Fils deSivah.

Et Nadir ajouta en souriant :

– Fils de Sivah ou sectateurs deKâli, il y aura toujours, au cœur même de l’Angleterre, des ennemisoccultes qui lui feront une guerre acharnée.

– Mais enfin, vous avez passé ledétroit ?

– Je suis arrivé à Paris un mois aprèsque tu t’étais embarqué sur le navire d’Ali-Remjeh que tu emmenaisprisonnier.

– Et vous y êtes resté ?…

– Six mois.

– Est-ce pendant ces six mois que vousavez connu la Belle Jardinière ?

– Oui. Et maintenant, écoute-moi.

Mais en ce moment on frappa deux coupsdiscrets à la porte de la salle dans laquelle nous étions, et peuaprès un des serviteurs de Nadir entra.

– Que veux-tu ? demandacelui-ci.

– Un Indien qui a les cheveux tout blancsdemande à parler à Votre Honneur.

– Qu’il revienne demain, dit Nadir.

– Il m’a dit de répéter son nom à VotreHonneur.

– Voyons ? fit Nadir.

– Il se nomme Koureb.

Nadir tressaillit.

– Qu’il entre donc alors, dit-il.

Et Koureb fut introduit.

Le vieux prêtre de Sivah avait le visagebouleversé.

Nadir congédia l’Indien qui l’avait amené,puis regardant Koureb :

– Que t’est-il advenu ?demanda-t-il.

– J’ai perdu mon amulette, répondit levieux prêtre.

– Quelle amulette ?

– Celle que je portais au cou.

Nadir fronça le sourcil en meregardant :

– L’amulette dont il parle, dit-il, estune pièce de cuivre suspendue à son cou par un cordon de soie.C’est le signe de la profession du prêtre. Quand les fidèlesviennent prier à la pagode, il est obligé de la leur montrer, souspeine de mort.

– Comment cela ?

– Si on reconnaît qu’il l’a perdue, on lemassacrera, et nous avons cependant besoin de lui.

Je ne pus me défendre d’un sourired’incrédulité.

Mais Nadir me dit en français, langue que levieux prêtre ne comprenait pas :

– Tu sais bien qu’on n’arrive à fanatiserdes hommes qu’avec des superstitions. Il faut que cette amulette seretrouve.

Et s’adressant à Koureb de nouveau :

– Mais où donc l’as-tu perdue ?

– Dans la maison du tailleur.

– Eh bien ! va la chercher. La jeunefille a la clef. Elle te la donnera.

Koureb sortit en proie à une véritableépouvante.

Et Nadir reprit son récit interrompu.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer