Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome I

CHAPITRE IV – La fournée

C’était ce soir-là que devait avoir lieul’expérience que M. de Maubreuil préparait depuis plusd’un mois. Comme tous les vrais savants, le vieux chimiste, à laveille de cette tentative décisive, n’était pas sans émotion.

Accoudé à la haute fenêtre du laboratoire, ilregardait tout pensif la nuit s’éteindre peu à peu sur la mer etsur la campagne d’où montaient des rumeurs mystérieuses.

– Réussirai-je enfin ? sedemanda-t-il pour la millième fois. Et, de mémoire, il refaisaitmentalement les calculs dont cette fois il supposait le résultatinfaillible.

Tout à coup le cri déchirant d’une trouped’oiseaux de mer qui cherchaient pâture dans les sables de la grèvetraversa le silence du soir.

Bien qu’exempt de toute superstition, lechimiste ne put s’empêcher de tressaillir, mais il surmonta bienvite cette impression de vague et maladive terreur.

– Allons ! murmura-t-il, il estl’heure.

Et rentrant dans la première pièce, ilappela :

– Baruch !

– Me voici, cher maître !

– Allumez les lampes électriques ;si vous le voulez bien, nous allons nous mettre au travail…

À ce moment, on heurta légèrement à la porteextérieure du laboratoire. Sans attendre qu’on lui eût donné lapermission d’entrer, Andrée fit irruption dans la salle auxvitrines et se jeta câlinement dans les bras du vieux savant.

– Bonsoir père ; je vais passer lasoirée chez Frédérique à la villa.

– Va, mon enfant, mais ne rentre pas troptard. Bien que la route ne soit pas longue, je n’aime pas à tesavoir errante par les landes et les grèves, comme une féebretonne. Nous allons travailler très tard ce soir et je ne seraipas couché quand tu rentreras.

– Quel nouveau prodige nous préparez-vousencore ?

– J’en suis toujours aux diamants, chèrepetite. Je n’ai pas encore obtenu ce que je voulais, mais, j’en aila ferme conviction, nous touchons au but. Demain peut-être, jepourrai te faire voir des brillants plus beaux que ceux de la reined’Angleterre ou de l’impératrice de Russie.

Andrée avait été élevée dans la haine despierreries.

– Vous savez bien, mon père, fit-elle,qu’à tous les bijoux je préfère les fleurs.

– Eh bien, nous aurons les plus bellesfleurs du monde et nous donnerons les diamants à ton amieFrédérique. Mais je te le recommande encore une fois, ne t’attardepas !

– Bonne chance, mais soyez sansinquiétude, je serai de retour de bonne heure. Ne suis-je pas,d’ailleurs, sous la protection de mon fidèle Oscar, armé de salanterne et de son bâton de houx ?

Et, du doigt, elle montrait en riant lachétive silhouette du bossu, dissimulé dans l’embrasure de laporte.

Pendant cette conversation, Baruch Jorgellétait rentré dans le second laboratoire, comme s’il eût tenu àéviter la présence de la jeune fille.

Depuis quelque temps, il régnait entre Andréeet le collaborateur de son père une secrète froideur. Malgré toutesa dissimulation, Baruch n’avait pu cacher le mécontentement et lajalousie que lui causaient les assiduités de l’ingénieur Paganotprès de la jeune fille.

Un moment, il avait caressé l’idée de devenirle gendre de M. de Maubreuil, et il était à la foisfurieux et humilié de l’indifférence polie que lui témoignaitAndrée, qui, avec sa clairvoyance féminine, avait deviné, sans biens’en rendre compte peut-être, dans le collaborateur de son père, unennemi d’autant plus dangereux qu’il était plus hypocrite.

M. de Maubreuil était le seul – avecson ingénuité de vieux savant, ignorant des trahisons de la vie – àprofesser à l’égard de Baruch une sympathie complète. N’ayant qu’àse louer de lui au point de vue du labeur scientifique, il prenaitla taciturnité de l’Américain pour de la mélancolie, et sasournoiserie pour du sérieux.

Cependant, Andrée avait déjà descendu quelquesmarches du monumental escalier de granit, à rampe de bois, lorsqueM. de Maubreuil lui cria du haut du palier :

– Mes amitiés à l’ami Bondonnat.Annonce-lui pour demain ma visite à l’heure du déjeuner. Si jeréussis, j’apporterai à Frédérique quelques brillants de mafabrication.

M. de Maubreuil rentra tout pensif,agité d’un vague et funèbre pressentiment.

Longtemps, le front appuyé au vitrail de lahaute fenêtre, il suivit des yeux la lueur de la lanterne qui,pareille à un ver luisant, paraissait et disparaissait sur lafalaise entre les ajoncs de la lande. Enfin la lueur se perdit dansl’espèce d’auréole phosphorescente qui planait au-dessus desjardins électriques de M. Bondonnat. Andrée était arrivée chezses amis.

– Allons ! s’écria le chimiste en seressaisissant, assez de rêvasseries, au travail !

– Tout est prêt, cher maître, réponditobséquieusement Baruch.

Sous la lueur des lampes électriques, lesgemmes des vitrines lançaient des feux étincelants ; on eûtdit de fulgurantes prunelles de démons, d’un rayonnement intense,presque vivantes dans leur immobilité.

M. de Maubreuil passa dans lelaboratoire et s’approcha de la grande table de porcelaine qui enoccupait le centre et qu’encombrait un fouillis de ballons, detubes, de matras et d’éprouvettes. Baruch ouvrait avec des pincesles lourdes portes du four électrique qui occupait tout un côté dela pièce et que protégeaient d’épaisses plaques de métal renforcéesde briques réfractaires.

La physionomie mélancolique deM. de Maubreuil s’était éclairée d’un sourire :

– Cette fois-ci, déclara-t-il, je croisau succès. Un échec est impossible ! Nous allons fabriquer degros diamants, de vrais diamants, en aussi grande quantité que nousvoudrons.

– Moissan, lui-même, le grand chimistefrançais, dit Baruch, n’en avait obtenu que de minuscules. Les plusgros étaient de la dimension d’une tête d’épingle et il lesdistribuait à titre de curiosité aux élèves de ses cours.

– C’est parce que, sans doute, il n’avaitpas opéré sur des masses assez considérables.

Baruch eut un sourire sardonique.

– Nous réussirons, je n’en doute pas,fit-il, mais ce sera tant pis pour les joailliers et lesactionnaires de mines de diamants.

– Je n’ai aucun scrupule à cet égard,répliqua tranquillement le chimiste. La disparition de la guerredans l’humanité ruinera aussi, un jour, les fondeurs de canons etles fabricants de mélinite, comme celle de la maladie feradisparaître les pharmaciens et les droguistes. À cela je ne voispas grand mal, l’activité du labeur humain se portera vers desobjets plus réellement utiles.

Baruch Jorgell ne répondit pas, son attentionvenait d’être attirée par un appareil métallique de forme carrée,accroché à la muraille qui faisait face au gigantesque fourélectrique.

– Tiens, fit-il, un microphoneenregistreur !

– Oui, répondit le chimiste, c’estmoi-même qui l’ai disposé ce matin, pour noter les bruits spéciauxqui se produisent dans la matière en fusion, au moment de lacristallisation. Il y a peut-être quelque chose à tirer de là.

– Peut-être, murmura le Yankee, devenusoucieux.

Maintenant, le silence régnait dans lelaboratoire. Baruch disposa sur la table de vastes creusets quifurent remplis de barres de métal, saupoudrées d’une poussière decarbone très dense. Dans d’autres, M. de Maubreuil introduisitdes blocs de graphite, et il ajusta les tubulures d’un appareil parlequel l’acide carbonique, porté à une haute température, devaitarriver au sein même de la masse en fusion.

Baruch se livrait avec une méthodique lenteurà la tâche qui lui était dévolue. Mais, quand il ne se croyait pasobservé du chimiste, ses regards étincelaient et son visage secrispait d’un affreux rictus.

M. de Maubreuil, lui, nageait, enplein enthousiasme. Ses traits avaient perdu leur expression terneet mélancolique. Ses longs cheveux gris, rejetés en arrière, sabarbe en désordre, il allait et venait dans une fièvre affairée etjoyeuse.

En moins d’une demi-heure, les dernierspréparatifs furent terminés. Les creusets, remplis et bouchés deleurs couvercles, s’alignèrent symétriquement sur la tablecentrale.

– Nous touchons au but ! s’écriaM. de Maubreuil avec exaltation. Nous allons réaliserenfin le rêve enfantin de la vieille humanité, éprise de cescailloux inutiles et brillants. Les pierres que nous fabriqueronsdépasseront de beaucoup le plat du roi Salomon, creusé, au dire desrabbins, dans une seule émeraude, et ce rubis géant qui, à ce quej’ai lu, est en ce moment la propriété du milliardaire Jorgell,votre père !

Baruch eut un regard chargé de haine.

– Ne me parlez jamais de mon père,balbutia-t-il d’une voix tremblante. Il n’y a plus rien de communentre nous. Vous savez de quelle manière il m’adépouillé ?

– Pardon de cette allusion, mon cherBaruch, dit affectueusement le vieillard, je n’ai pas eul’intention de vous froisser, j’oubliais que ces souvenirs voussont pénibles… Mais revenons à nos diamants. Il s’agit à présentd’enfourner les creusets.

Sans répondre un mot, l’Américain ouvrit denouveau les lourdes portes du four électrique, dans l’intérieurduquel il aligna les récipients infusibles.

Il n’y avait plus maintenant qu’à lâcher lecourant de plusieurs milliers de volts, assez puissant pourreproduire la cristallisation du carbone mélangé au métal descreusets.

Les portes furent hermétiquement closes.L’instant solennel était arrivé.

– Allez ! ordonna gravementM. de Maubreuil.

Baruch fit manœuvrer l’interrupteur,déchaînant ainsi le formidable courant.

Presque instantanément, une chaleur terriblese répandit dans les deux pièces ; les portes du gigantesquefour rougirent, les planchers et les meubles craquèrent et sefendillèrent, et sur la table, située cependant à plusieurs mètresdu four, des éprouvettes éclatèrent.

Inondés de sueur, la face congestionnée,quoiqu’ils ne fussent vêtus que de blouses de laboratoire en grossetoile, M. de Maubreuil et Baruch durent passer dans lasalle aux vitrines où la chaleur n’était guère moinsconsidérable.

Tous deux haletaient, à demi suffoqués.

De temps en temps Baruch rentrait dans lelaboratoire, consultait du regard les appareils situés à proximitédu four, puis revenait en hâte, à demi étouffé par l’intolérabletempérature de la pièce.

De rares paroles tombaient dans le grandsilence.

– Combien de degrés ?

– Trois mille.

– Bien.

Puis ce fut trois mille cinq cents, quatremille… quatre mille cinq cents.

L’atmosphère devenait irrespirable comme cellede la chaufferie d’un paquebot ; le parquet se recroquevillaitet se carbonisait à deux mètres du dallage de briques réfractairessur lequel était installé le four électrique, la charpente du vieuxmanoir semblait prête à se disloquer, une des vitres de la fenêtrese fendit avec un grincement aigu et déchirant, comme un crid’agonie.

– Cinq mille cinq ! annonçaBaruch.

– C’est assez, balbutiaM. de Maubreuil en s’épongeant le front. Il suffitmaintenant de maintenir cette température-là pendant unedemi-heure.

L’Américain alla manœuvrer le commutateur.Dans la rougeoyante clarté qui s’échappait des portesincandescentes, ses regards lançaient des éclairs. On eût dit que,dans cette atmosphère embrasée, il se trouvait à l’aise comme dansson élément.

– Je n’en puis plus, murmuraM. de Maubreuil, allons respirer un peu sur lepalier.

Ils sortirent, humèrent avec délicel’atmosphère moins chaude de l’escalier.

Le Manoir aux Diamants semblait endormi, ledomestique breton et l’électricien qui avait soin des machinesinstallées dans les sous-sols couchaient à l’autre extrémité duchâteau. Dans le silence, on n’entendait que les craquements dubois qui se recroquevillait, mêlés aux grondements de la mer, auxsifflements du vent dans la lande.

– J’ai peur qu’Andrée n’ait mauvais tempspour rentrer, dit tout à coup M. de Maubreuil.

– Ne soyez pas inquiet de cela, fitBaruch avec une étrange intonation.

– C’est vrai que l’ami Bondonnat laferait reconduire par un de ses collaborateurs ou mieux encore metéléphonerait qu’il la garde jusqu’à demain matin.

– Vous voyez bien.

– Je sais, mais cela me tracasse…J’aurais presque voulu que ma fille se trouvât là pour être témoinde notre triomphe ou de notre insuccès…

– Vous savez, dit tout à coup Baruch, enjetant un coup d’œil sur son chronomètre, que la demi-heure toucheà son terme.

– Remontons ! s’écria précipitammentle vieux savant, brusquement ramené à la préoccupation de sonexpérience.

Tous deux regrimpèrent en hâte jusqu’aulaboratoire et pénétrèrent de nouveau dans l’ardente fournaise.Baruch, à la minute précise, interrompit le courant, puis il ouvrittoutes grandes les portes et les fenêtres que protégeaient desolides barreaux de fer.

La fraîcheur humide d’un vent d’ouest lourd depluie vint rafraîchir délicieusement la suffocante atmosphère dulaboratoire. Le four perdit de son éclat fulgurant et commençalentement à se refroidir.

– Si nous ouvrions ? fitM. de Maubreuil avec une fébrile impatience.

– Essayons, approuva l’Américain avec nonmoins d’impatience.

Et, s’armant d’une longue pince d’acier, ils’approcha du four, mais la chaleur était intense : il fallutencore attendre.

Le vieux chimiste se contenait à peine. Ilarpentait à grands pas les deux pièces du laboratoire, répétantmachinalement des équations et des formules – les formules mêmes dela synthèse du diamant dont, maintenant que l’expérience touchait àsa fin, il arrivait à n’être plus aussi sûr.

– Pourvu, murmura-t-il, que je ne me soispas trompé !

Pendant ce temps, Baruch avait refermé lesportes et les fenêtres. Tous deux, comme cédant à une invincibleattraction, s’étaient rapprochés du four électrique.

– J’espère, dit M. de Maubreuilavec agitation, que cette fois le courant a accompli son œuvremystérieuse. La cristallisation doit être parfaite ou c’est àdésespérer de la chimie !

– C’est ce que nous allons voir àl’instant même ; maintenant on peut ouvrir.

Baruch avait repris ses pinces, les lourdsverrous métalliques furent poussés, sous la voûte profonde, lescreusets apparurent dans un nimbe de vapeur rose.

– Si nous avions échoué ! balbutiale chimiste, le cœur palpitant d’angoisse.

Baruch, les dents serrées, soulevait aveceffort chaque creuset avec ses pinces et venait le déposer sur latable de porcelaine ; bientôt tous s’y trouvèrent alignés.

Avec une pince plus petite, l’Américain essayad’ouvrir un des récipients encore brûlants, mais l’opération étaitmalaisée.

– Prenez un marteau et cassez-le !s’écria M. de Maubreuil, incapable d’attendre une minutede plus.

Baruch se saisit d’une lourde masse d’acier àmanche très court, et, d’un geste brutal, fit voler le creuset enéclats. Chaque fragment de terre réfractaire apparut tapissé d’unéblouissant revêtement de diamants. Ils étincelaient de mille feux,au milieu de l’acre vapeur qui s’exhalait encore.

L’Américain était demeuré muet de stupeur etd’émerveillement. La fortune qui s’étalait devant ses yeux étaitinestimable, il y avait là des cristaux bruts de la grosseur d’unepomme que les impératrices et les reines se seraient disputés àcoups de milliards.

M. de Maubreuil, très pâle,considérait les gemmes avec un extatique sourire.

– Les diamants, s’écria-t-il avec un rirenerveux, mais c’est fini ! Cela ne vaut plus rien. Qui enveut ? je vais en fabriquer par centaines, par milliers ;on en emplira des tombereaux ; on en chargera des wagons, onen couvrira les maisons, on en pavera les rues !… Ha !ha !

Il allait et venait, gesticulant à travers lelaboratoire, arrivé au summum de l’exaltation.

– Allons, Baruch ! s’écria-t-il d’unton impérieux, ne perdons pas une minute, il faut voir ce qu’il y adans les autres creusets.

Si M. de Maubreuil, tout à la joied’un triomphe longtemps attendu, avait en ce moment regardé BaruchJorgell, il eût été épouvanté de la transformation subite quis’était produite dans ses traits. De l’homme du monde, du correctYankee, toujours grave et même un peu triste, il ne restait plusrien. La mâchoire saillante, les dents crispées, les prunelles horsde la tête, Baruch avait pris en une seconde une physionomieeffrayante de cupidité et de férocité bestiales.

– Mais cassez donc ces creusets !répéta le chimiste qui, littéralement hypnotisé par les diamants,ne voyait rien, n’entendait rien, tout à la joie délirante dusuccès.

– Lequel ? demanda Baruch en levantsa masse d’acier.

– Celui-ci ! dit le chimiste en sepenchant pour montrer le plus grand des creusets.

La masse pesante s’abattit avec un bruitsourd. Frappé derrière la tête, M. de Maubreuil tombasans pousser un cri et alla heurter la paroi brûlante du fourélectrique.

– Meurs donc, vieux fou, rugitl’assassin, à moi le secret du diamant !

La face du malheureux chimiste s’était tout àcoup violacée. Ses prunelles s’étaient révulsées, sa physionomieconservait dans la mort une épouvantable expression de stupeur etd’angoisse.

Baruch contempla quelque temps avec unsang-froid plein de cynisme le cadavre défiguré de son bienfaiteur,puis il se détourna avec un haussement d’épaules.

– Maintenant, dit-il à voix haute, commes’il se fût adressé à un interlocuteur invisible, il ne faudraitpas s’attarder ici !

Avec une rapidité et une précision quidénotaient une abominable résolution, il brisa l’un après l’autretous les creusets, en arracha les plus gros diamants qu’ilamoncelait à mesure sur un coin de la table. L’étincelante pyramidemontait sans cesse, éblouissante de mille feux.

– Il y a là des millions ! balbutial’assassin, avec une sorte de ferveur cupide.

Et il demeurait à la même place extasié,oubliant l’heure, le lieu, le terrible péril qu’il courait.

Tout à coup, il tressaillit.

Il lui semblait que quelqu’un avait frappédoucement à la porte.

Il écouta, l’oreille anxieusement tendue auxbruits du dehors.

Le bruit se précisa.

C’était quelqu’un qui grattait, doucementcomme quand on redoute d’être indiscret.

– Andrée ! murmura-t-il d’une voixsourde, c’est elle qui vient voir le résultat de notre expérience…Tant pis !… Malheur à qui vient me surprendre en un pareilmoment !

Avec un farouche courage, il prit dans sapoche un browning de gros calibre et ouvrit brusquement laporte.

Il faillit être renversé par Pistolet qui,d’un bond, s’élança dans la pièce avec des aboiements furieux.

La rage de Baruch était à son comble.

– C’est donc ce misérable chien qui m’afait si peur ! grinça-t-il. Mais il va me payer mes sottesfrayeurs de tout à l’heure.

Et il tira presque à bout portant.

Pistolet tomba en râlant, une écume rose à lagueule.

Baruch était maintenant en proie à cetteespèce de panique qui s’empare immanquablement des meurtriers aprèsle crime.

Il avait fini de vider les creusets.Précipitamment, avec des gestes de folie, il se rua vers lesvitrines de la première salle, il rafla au hasard les plus bellesgemmes, négligeant les pierres de peu de valeur marchande, telles,par exemple, que les améthystes et les topazes, pour les rubis etles émeraudes dont le prix, dans certains cas, est inestimable.

Il joignit ce butin au monceau des diamants etempaqueta le tout dans sa blouse de laboratoire.

Il vint à bout de ce travail avec des gestessaccadés, s’interrompant de minute en minute pour consulter sonchronomètre.

– Elle doit être déjà rentrée,bégayait-il d’une voix basse et entrecoupée. Qu’elle n’ait pasl’idée de venir ! Mes mains se sont déjà trempées dans lesang !… J’irais jusqu’au bout !…

Il serrait d’un geste fébrile sonbrowning.

Tout à coup, il porta la main à son front avecun geste égaré.

– Il ne faut pas oublier l’essentiel,fit-il d’une voix sourde. Les formules !… J’allais partir sanscela…

Non sans une grimace d’horreur, il s’approchadu cadavre, il fouilla dans la poche du gilet où le chimisteserrait d’ordinaire un minuscule carnet. C’est là que setrouvaient, brièvement notées, les trouvailles quotidiennes lesplus importantes du savant.

Le carnet aux formules avait disparu.

Baruch regarda avec égarement autour de lui.Sur la plaque métallique du four, de niveau avec le sol, il aperçutun tas carré de cendre noire où subsistaient quelques traces dedorure ; c’était tout ce qui restait du carnet deM. de Maubreuil tombé de sa poche sur la plaque ardentede métal, au moment même où son assassin l’avait frappé.

– Tant pis ! grommela Baruch, avecune sorte d’abattement qui était déjà peut-être le commencement duremords. Je retrouverai les chiffres exacts avec quelquestâtonnements. Je n’ai plus maintenant que le temps de mesauver !…

L’assassin lava ses mains noircies, revêtit uncaban de gros drap et une casquette de voyage, serra hâtivement sonbutin dans une valise qu’il avait cachée la veille dans la salleaux vitrines et s’enfuit sans oser regarder derrière lui, sans mêmeéteindre les lampes électriques et sans refermer les portes.

Il put sortir du Manoir aux Diamants par lapetite porte qui donnait sur la grève. Il n’avait rencontrépersonne.

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