Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome I

CHAPITRE VII – Traqué

Le dîner tirait à sa fin à la table d’hôte du« family-house », dirigé par mistress Griffton, dans laTrentième avenue de New York.

La vénérable dame, après avoir dispensé d’unemain parcimonieuse le plum-cake et les marmelades, souleva lacloche de cristal qui recouvrait un capiteux fromage canadien, dontl’odeur violente eut pour effet de chasser la plupart des convivesdu côté du parloir, où l’on avait servi le thé.

Mistress Griffton s’apprêtait à les suivre età prendre une récréation bien méritée en se livrant à la lecturedes feuilles du soir, généralement remplies de faits diversémotionnants : lynchages de nègres enduits de pétrole etgrillés vifs, électrocutions mouvementées, incendies de maisons àtrente étages, arrestations sensationnelles de pickpockets oud’assassins milliardaires, lorsqu’un personnage minablement vêtu,et dont le nez long et un peu busqué était surmonté d’un lorgnonfumé, fit son entrée dans la salle à manger. Quand il ne se croyaitpas observé, il jetait autour de lui, par-dessus son lorgnon, unrapide coup d’œil.

– Vous voilà encore en retard, fitaigrement la dame, vous savez cependant qu’une des règles de monétablissement est une exactitude ponctuelle et, ajouta-t-elle aprèsun silence gros de menaces, une régularité parfaite dans lespayements.

Le nouveau venu baissa la tête humblement ets’assit devant un couvert pendant qu’un « steward », auveston râpé, rapportait un potage à la queue de bœuf et auxharicots (oxtail) et un gigantesque morceau de rosbif froid d’unrose appétissant.

– Mille pardons, mistress… très ennuyé àcause du retard que j’ai mis à solder ma petite note. Mais je suis,comme vous le savez, placier en produits chimiques et j’ai concluce soir une grosse affaire. Demain samedi, je toucherai descommissions qui s’élèvent à plus de cinquante dollars et monpremier soin sera de vous payer.

Mistress Griffton, une bonne Écossaise établieà New York depuis une dizaine d’années, parut entièrement rassuréepar les affirmations de son client.

– Je sais, fit-elle, que dans votrepartie les gains sont irréguliers et jusqu’ici vous avez fait ceque vous avez pu pour payer exactement…

Puis changeant de ton et déployant un largenuméro du New York Times :

– À propos, ajouta-t-elle, vous savez quel’on est sur la piste de Baruch Jorgell, le fils du milliardairequi a tué un vieux savant français pour lui voler sesdiamants ?

À ces mots, le convive rougit, ses yeuxbattirent derrière les verres de son lorgnon. Pourtant, ce fut avecune parfaite indifférence qu’il répondit :

– Baruch Jorgell ? Je ne connais pasce nom-là. Vous savez d’ailleurs que je suis si absorbé par lebusiness que je n’ai pas un moment pour lire les journaux.

– Tenez, insista mistress Griffton, voilàson portrait, et ce qu’il y a de plus amusant, fit-elle avec unrire sonore, c’est qu’il vous ressemble un peu.

– C’est bien possible, répondit ledîneur, non sans un imperceptible tressaillement.

Pour mettre fin à une conversation quisemblait l’agacer prodigieusement, il déploya lui-même un numéro duNew York Herald et s’absorba dans sa lecture. MistressGriffton en fit autant, puis bientôt, rappelée au sentiment de sesdevoirs professionnels, elle alla dans le parloir prendre sa placeaccoutumée entre le piano et la table à thé.

Son interlocuteur expédia son repas en hâte ets’empressa de sortir. Il semblait distrait, préoccupé. Dans la rue,il heurta un gros gentleman à favoris blancs qui sortait d’un bar àla devanture étincelante de glaces et de lumière électrique.

– Vous pourriez faire attention, fitjovialement le gros homme.

Et, regardant la physionomie alors vivementéclairée de celui qui l’avait heurté, il ajouta, persuadé qu’ilfaisait une excellente plaisanterie :

– Ce n’est pas parce que vous ressemblezà Baruch Jorgell, l’assassin milliardaire, qu’il faut faire le fieret bousculer les passants.

Il fut tout ébahi que l’interpellé ne répondîtà son trait d’esprit que par un juron et se hâtât de disparaîtredans la cohue.

La soirée s’avançait. Les cabs électriquesfilaient à toute vitesse dans les vastes avenues déjà désertes. Leclient de mistress Griffton, errant comme une âme en peine, sedirigea vers le quartier chinois.

Il se sentait si las, si désespéré, sitourmenté, qu’il lui vint à l’idée d’étourdir ses chagrins enallant fumer l’opium dans un bouge qu’il connaissait et quefréquentaient surtout les émigrants.

Chemin faisant, il tâta dans la poche de songilet l’unique dollar qui lui restait.

– Posséder des millions, grommela-t-ilavec rage, et ne pouvoir y toucher ! C’est à devenirfou !

Et il brandit le poing comme pour menacer unadversaire invisible.

Il était arrivé dans les environs du quartierchinois.

Il allait s’engager dans une allée sordide,gluante, à peine éclairée par un bec de gaz fumeux. Tout à coup,son attention fut attirée par un rassemblement, au milieu duquelévoluaient une douzaine de policemen armés de casse-tête.

Pris de curiosité, il se glissa dans la cohueet, s’adressant à un portefaix de taille herculéenne qui péroraitau milieu d’un groupe, il lui demanda de quoi il s’agissait.

– Rafle de police, répondit l’hommelaconiquement.

– On croit, ajouta un autre, que BaruchJorgell, l’assassin milliardaire, s’est réfugié dans le quartierdes Jaunes.

– Je vous remercie, murmura entre sesdents le pensionnaire de mistress Griffton.

Et il s’éloigna précipitamment du quartierchinois.

Il marchait à grands pas, se retournaitinstinctivement, comme pour voir s’il n’était pas poursuivi.

Il fit halte devant la salle d’uncinématographe où s’engouffrait une foule bruyante. Pendant quelquetemps, il suivit d’un regard distrait, sur le vaste transparent quioccupait toute la façade, les annonces en hautes lettres lumineusesqui se succédaient de cinq minutes en cinq minutes, avec desalternances d’obscurité profonde et de clarté aveuglante.

Tout à coup une phrase flamboya en lettressanglantes sur le fond des ténèbres :

BARUCH JORGELL

ASSASSIN D’UN ILLUSTRE CHIMISTE FRANÇAIS

RECONSTITUTION EXACTE DU CRIME

L’homme hésita un instant ! Un désirirrésistible de voir le film sensationnel s’était emparé delui ; il fit quelques pas vers l’entrée de la salle, maisarrivé en face du guichet où se distribuaient les billets, il fitune brusque volte-face et s’enfuit.

Pendant une heure, il marcha droit devant lui,traversant au hasard des rues, des avenues et des places qui luiétaient inconnues… Sur un quai où des centaines de dockerss’affairaient au déchargement d’un paquebot, il sembla prendre unesubite décision.

Il pénétra dans un bar et se commanda uncocktail au whisky, puis un second et un troisième ; quand ileut payé, il ne lui restait plus qu’un peu de menue monnaie.

L’alcool qui lui montait au cerveau enardentes bouffées semblait l’avoir momentanément apaisé. Ilrespirait avec délice l’air frais du soir.

– Bah ! murmura-t-il, il me viendrapeut-être une bonne idée.

Il regagna lentement le family-house demistress Griffton, où il occupait une petite chambre sous lestoits.

Il se leva de très bonne heure le lendemain,espérant sortir de l’établissement sans être vu ; mais ilavait compté sans son hôtesse. L’Écossaise avait été plus matinaleencore que son pensionnaire. Elle se trouvait déjà dans le parloirquand il y entra.

– Je vous souhaite le bonjour, luidit-elle aimablement.

– Bonjour, mistress Griffton, j’espèreque vous avez bien dormi ?

– Admirablement.

Puis changeant brusquement de ton :

– Alors, je compte sur vous pour cesoir ?

– C’est entendu. Vous pouvez apprêter mapetite note. Sitôt que j’aurai touché mes commissions, mon premiersoin sera de venir vous payer.

Rassurée par le ton de sincérité avec lequelcette promesse avait été faite, l’Écossaise prit congé de sondébiteur, qui gagna la rue au plus vite.

Dehors, il se mêla à la multitude destravailleurs qui se dirigeaient en hâte vers les bureaux et lesusines, mais il était visible, à sa démarche indolente, qu’iln’avait aucun but.

Avec les derniers sous qui lui restaient ilbut un verre de café et mangea un sandwich dans un bar en pleinvent, puis il se dirigea vers une petite bibliothèque publiquesituée près de Brooklyn et que ne fréquentaient guère qu’unedizaine de vieillards désœuvrés. Il s’assit dans le coin le plussombre et, la tête dans ses mains, de façon à ce qu’on observât sestraits le moins possible, il se plongea dans la lecture d’unetraduction de la chimie de Berthelot.

Il demeura ainsi toute la journée,complètement absorbé, en apparence, par l’étude des synthèses descorps organiques ; mais, vers six heures, on ferma labibliothèque, il se retrouva de nouveau dans la rue.

La nuit venait à grands pas, une pluie fines’était mise à tomber, tout au long des immenses avenues, leslignes étincelantes des globes électriques s’allumaient. L’hommegrelottait de froid dans son habit râpé, il avait faim.

– Fini, le crédit chez la mère Griffton,fit-il avec un ricanement amer, et plus un dollar !… J’auraispeut-être pu faire durer mon argent un jour de plus, mais à quoibon ?… Un peu plus tôt ou un peu plus tard, qu’importe…

Il grinça des dents avec rage.

– Ne pas pouvoir dépenser un« farthing » et crever de faim, quand on possède desmillions ! Quelle situation stupide !

Il continuait à marcher lentement. À sa colèresuccédait tout à coup un abattement profond.

– Où aller, maintenant ?murmura-t-il avec découragement. Je serai ramassé comme vagabond,identifié, fouillé, et alors…

À ce moment un crieur de journaux passa prèsde lui en hurlant à tue-tête l’édition du soir du New YorkAdvertiser. Machinalement, l’homme porta la main à la poche deson gilet. Ses doigts rencontrèrent une pièce d’un cent, c’étaittout ce qui lui restait.

– Je ne me croyais pas si riche,balbutia-t-il avec ironie.

Il jeta la pièce de cuivre au camelot, prit lenuméro de l’Advertiserqu’on lui tendait et se mit à leparcourir distraitement à la lueur d’un bec de gaz. Un titre énormeattira tout d’abord son attention : Nouveaux détails surl’assassin Baruch Jorgell.

Il haussa les épaules et il allait rejeter lejournal avec colère quand, au bas de la première page ses yeuxtombèrent sur l’entrefilet suivant, qu’il lut aussitôt avec uneattention suraiguë.

UN NOUVEAU MIRACLE DU DR CORNÉLIUS KRAMM

« Depuis que l’éminent praticien qu’on asurnommé, à juste titre, le « sculpteur de chairhumaine » a quitté Jorgell-City pour s’installer à New York,dans son somptueux établissement de la Dixième avenue, il ne sepasse pas de jour qu’il n’opère quelque guérison quasi miraculeuse.Voici la dernière de la série :

« Tout le monde a lu dans nos colonnes lerécit des exploits de l’honorable colonel Mac Dolmar, lors de ladernière expédition américaine aux îles Philippines. On sait quecet héroïque soldat avait dû prendre sa retraite, à la suite d’uneblessure particulièrement grave. Un shrapnell lui avait emporté lenez et la moitié de la joue droite, en le défigurant atrocement.Les princes de la science avaient été unanimes à déclarer qu’ilétait impossible de remédier à une pareille mutilation. Le colonelMac Dolmar était réduit à porter une sorte de demi-masque en argentdu plus disgracieux aspect et il avait dû se résigner à demeurerainsi défiguré pour le restant de ses jours.

« Ces temps derniers, sur le conseil dequelques amis, le colonel eut l’idée d’aller consulter le docteurCornélius Kramm, et sur les formelles assurances que lui donna cedernier, il se confia entièrement à ses soins.

« Au bout d’un mois de traitement, lerésultat a dépassé toute espérance. De l’effrayante mutilation, ilne reste plus qu’une légère cicatrice blanchâtre de formecirculaire. L’illustre docteur est arrivé à refaire complètement lenez et la joue absents. Une fois de plus, il a justifié le bizarreet glorieux surnom de sculpteur de chair humaine.

« Le colonel Mac Dolmar, si bien guériqu’il est actuellement fiancé à une jeune et charmante héritière, arécompensé le docteur Kramm de ses soins par le don d’un chèqued’une valeur considérable. »

L’homme relut une seconde fois cette habileréclame et tout de suite sa résolution fut prise.

– J’irai ! s’écria-t-il. C’est leseul espoir qui me reste ! Cornélius Kramm est le seul hommequi puisse me sauver… s’il le veut.

L’inconnu plia soigneusement le numéro duNew York Advertiser et d’un pas délibéré prit le chemin dela Dixième avenue.

Au bout d’une demi-heure de marche, il faisaithalte devant une luxueuse propriété entourée de hautes murailles etfermée par une monumentale grille de fer forgé.

Au moment d’appuyer sur le bouton de lasonnerie électrique, le nocturne visiteur eut un instinctifmouvement de recul. Il avait la vague sensation qu’il allaitpénétrer dans l’antre de quelque bête féroce, d’où peut-être il nesortirait plus jamais.

– Allons, murmura-t-il, il lefaut !

Il sonna.

Un lad, vêtu de noir, chaussé de molleton,d’une correction glaciale, ouvrit la porte et toisa le nouveau venud’un air soupçonneux.

– Que désirez-vous ?demanda-t-il.

– Je voudrais voir M. le docteurCornélius Kramm.

– Impossible, monsieur, il faut demanderd’avance une audience par lettre.

Le visiteur parut extrêmement contrarié.

– C’est que, balbutia-t-il, il s’agitd’une affaire grave, d’une affaire qui ne souffre pas deretard…

– Je regrette, mais ma consigne estformelle.

– Attendez ! s’écria l’inconnu avecune sorte de désespoir. Je suis un ami du docteur ! Il fautabsolument que je lui parle. Veuillez lui remettre ce mot de mapart et je suis sûr qu’il me recevra !

Il avait arraché une feuille de son carnet, ily griffonna quelques lignes et les tendit au domestique toujourshésitant.

– Voilà, vous donnerez cela audocteur.

L’Irlandais avait pris la feuille de papier demauvaise grâce. Il guida le visiteur obstiné jusqu’à un petit salond’attente où il le laissa. Il revint quelques minutes après, lamine surprise.

– M. le docteur, dit-il d’un tonbeaucoup plus respectueux, a dit qu’exceptionnellement ilconsentait à recevoir Monsieur. Que Monsieur veuille bien mesuivre.

Il précéda le visiteur jusqu’à un luxueuxsalon orné de tableaux de maîtres, de statues de bronze et garni demeubles Louis XIV d’une magnificence imposante.

L’Irlandais avait disparu. Presque aussitôtune petite porte, dissimulée dans la boiserie d’ébène, s’ouvritsilencieusement. Un personnage à face osseuse, aux yeux fixes etcruels, comme ceux des oiseaux de proie, derrière de largeslunettes à branches d’or, entra lentement.

Les deux hommes se regardèrent quelque tempsen silence. On eût dit que chacun d’eux hésitait à prendre laparole le premier.

– Baruch Jorgell, dit enfin le docteurd’une voix grave, pourquoi êtes-vous ici ?

Et comme l’assassin se taisait, devenu tout àcoup mortellement pâle :

– Baruch Jorgell, répéta le docteur de lamême voix solennelle, pourquoi êtes-vous venu vous réfugier chezmoi ?

– Et où voulez-vous que j’aille ?s’écria Baruch avec l’énergie du désespoir. En quel autre lieu unmisérable tel que moi trouverait-il asile ? Rappelez-vousqu’autrefois…

Cornélius lui imposa silence d’un geste.

– Autrefois n’est pas aujourd’hui,fit-il. Il n’y a rien de commun entre nous. Vous pouvez me causerde graves ennuis.

– Je suis sans argent, sans asile, chasséde partout, traqué comme une bête fauve.

– On peut vous avoir filé jusqu’ici. Lespolicemen sont peut-être là, dehors, qui vous attendent. Je mecompromettrais sans vous sauver. Allez-vous-en !

– Vous ne me chasserez pas ainsi !C’est impossible !…

Et il ajouta vivement :

– D’ailleurs, je suis en état derétribuer le service que vous allez me rendre !

– Oui, fit l’autre sarcastique, je devinede quelle manière. Avec les diamants du chimiste français, n’est-cepas ?

– Regardez ! dit simplementBaruch.

Déboutonnant son pardessus, retroussant sonveston, il détacha de ses reins une pesante ceinture de cuir. Il endéboucla les agrafes et il en vida le contenu sur le tapis de latable.

Des diamants énormes, des rubis, des émeraudess’éparpillèrent. Ce fut un éblouissement.

Cornélius regardait les gemmes d’un œil deconvoitise.

– Vous voyez cela, reprit Baruch d’unevoix incisive. Eh bien ! j’en possède encore autant dans lespoches secrètes de mon pardessus et de mon veston !

– Une vraie fortune, en effet, fitCornélius avec une raillerie mordante… Malheureusement, ce doitêtre difficile à négocier, surtout dans la situation où vous voustrouvez. C’est une situation assez originale que de mourir de faim,quand on a dans ses poches de pareilles pierres.

– Écoutez, ne vous moquez pas de moi. Jevous ai fait voir mon butin. Vous me connaissez. Je suis à votremerci !…

– C’est assez mon opinion, ricana ledocteur.

– Je suis réduit aux pires extrémités,désespéré, tellement à bout de force, tellement las de vivred’expédients avec des millions dans ma ceinture que je suis résignéà tout. J’en suis presque arrivé à dire : « Livrez-moi àla justice et gardez mes diamants… » Tout plutôt que decontinuer une pareille existence.

– Eh bien, non ! s’écria tout à coupCornélius dont la face squelettique grimaça une sorte de sourire.Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’être votre juge… Et nonseulement je ne vous livrerai pas, mais je vous donnerai asile etje vous associerai à des entreprises grandioses ! Vous vousrendez compte maintenant, n’est-ce pas, que votre sort est entremes mains ?

– Pas tant de phrases, répliqua BaruchJorgell d’un ton bourru. Je suis à votre merci, je le sais…

– Sans doute, murmura le docteur dont lesprunelles d’oiseau nocturne étincelèrent. (Et il continua d’unevoix radoucie 🙂 Je n’abuserai pas de la situation, mais jeveux que vous compreniez qu’il est de votre intérêt de faire ce queje vous dirai. Nous devons être des collaborateurs et non descomplices.

– J’obéirai, j’y suis forcé, mais de quois’agit-il ?

– Je n’en sais rien moi-même exactement.Je veux seulement trouver une utilisation aux qualités d’énergie,d’audace, de sang-froid et d’intelligence que vos dernièresaventures ont mises en relief. Dans quelques mois, dans quelquesjours peut-être, j’aurai trouvé la bonne idée que je cherche.

Baruch poussa un profond soupir ; il sesentait délivré d’un poids immense.

– Et les diamants ? demanda-t-ilaprès un silence.

– N’ayez aucune inquiétude à cet égard.Les diamants vont être taillés par des ouvriers hollandais, dansles ateliers de mon frère Fritz Kramm, puis ils seront sertis dansdes montures anciennes et vendus tout leur prix, croyez-lebien ! Mon frère les écoulera petit à petit dans sessuccursales d’Europe.

– Mais que me reviendra-t-il, àmoi ?

– Je pourrais vous répondre : rien.La vie sauve et l’impunité valent mieux que les plus beaux diamantsde l’univers ; mais rassurez-vous. Je vous le répète, je neveux pas abuser de la situation. Je vous tiendrai compte exactementde toutes vos pierreries, le prix de vente sera partagé entre vous,moi et mon frère. Cela est assez naturel, je pense.

Tout en parlant, Cornélius Kramm s’amusait àramasser une à une les gemmes éparpillées et à en former une sortede pyramide qui étincelait à la lueur des becs électriques, mais ils’interrompit brusquement de cette occupation, et se tournant versBaruch Jorgell qui demeurait pensif :

– Vous devez avoir besoin d’argent ?fit-il.

– Je vous ai déjà dit qu’il ne me restaitpas un dollar.

– Voici une bank-note de mille dollars,mais il est probable que d’ici longtemps vous n’aurez pasl’occasion d’en faire usage.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’il est indispensable à votresécurité même que vous ne sortiez pas d’ici jusqu’à nouvel ordre.Il faut qu’on vous oublie et que votre personnalité même soitcomplètement modifiée…

Cornélius n’acheva pas, un bruyant éclat derire venait de retentir à l’autre extrémité du salon. Baruch et ledocteur se retournèrent d’un même mouvement. Vers eux s’avançait ungentleman élégamment vêtu, à la physionomie cordiale et souriante.C’était Fritz Kramm, le célèbre marchand de tableaux, le frère dudocteur.

– Pour ce qui est de modifier lapersonnalité des gens, dit en riant le nouveau venu, cela rentredans la spécialité de mon frère.

Et saluant Baruch avec une aisanceparfaite :

– Enchanté de vous voir, master Jorgell,fit-il.

Baruch soupira. Il se sentait le cœur serrépar l’angoisse. Depuis qu’il était entré dans la demeure dusculpteur de chair humaine, il comprenait que sa destinée n’étaitplus entre ses mains.

Les deux frères s’entretinrent quelque tempsensemble, à voix basse, puis le docteur, s’avançant vers Baruch,lui dit simplement :

– Maintenant, vous êtes ici chez vous. Àdemain. Ce soir je suis obligé de sortir. Je vais donner auxdomestiques des ordres à votre sujet.

Les deux frères se retirèrent.

Un quart d’heure après, Baruch Jorgell,complètement rassuré, dormait à poings fermés dans une confortablechambre donnant sur les jardins.

Il était sûr que la police new-yorkaise neviendrait jamais le chercher là.

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