Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

Le Dernier mot de Rocambole – Tome IV

de Pierre Ponson du Terrail

Chapitre 1

Que s’était-il donc passé ?

Moussami, qui n’avait plus de langue, me l’expliquait par signes. Vers minuit, croyant entendre du bruit, il était venu dans ma chambre, où je dormais profondément. Il avait vainement essayé de m’éveiller, et comme le bruit continuait, il s’était dirigé vers la porte pour appeler au secours les gens de l’hôtel.

Mais en ce moment cette porte s’ouvrit et quelque chose d’opaque fut jeté sur la tête de l’Indien par deux hommes qui entrèrent dans la chambre.

C’était une couverture de laine dans laquelle on lui enveloppa la tête pour l’empêcher de crier.

Moussami lutta énergiquement ; mais il fut terrassé.

En même temps qu’elle l’aveuglait, la couverture étouffait ses cris.

Quand il fut à terre, un des deux hommes lui lia les pieds et les mains avec cette adresse et cette dextérité qui tiennent du prodige chez les Indiens.

En même temps aussi, on lui mit un bâillon dans la bouche et on retira la couverture.

Alors Moussami put voir et entendre.

Les deux hommes étaient des Indiens de la race rouge, et à leur costume on reconnaissait tout de suite des sectaires de la déesse Kâli, c’est-à-dire des Étrangleurs.

L’un était jeune et paraissait obéir, l’autre était vieux et commandait.

Ils s’approchèrent de mon lit et mesecouèrent. Mais je ne m’éveillai pas.

Le jeune eut un sourire de haine.

– Est-ce donc là, dit-il, l’homme qui avaincu Ali-Remjeh ?

– Oui, dit le vieux.

– Si nous l’étranglions ?

– Tu sais bien que celui qui nous envoienous a dit que notre tête répondait de la sienne.

– C’est vrai, soupira le jeune homme,mais c’est dommage.

Le vieux prit ma main dans la sienne et fitglisser l’anneau que j’avais au doigt.

Puis il examina attentivement cebijou :

– Oui, dit-il, c’est bien cela.

Alors ils me laissèrent dormir et revinrent àMoussami.

Celui-ci avait-repris tout son sang-froid, et,au lieu d’essayer de crier, ce qui ne l’eût avancé à rien, ilobservait attentivement ces deux hommes, de façon à pouvoir lesreconnaître plus tard.

L’un d’eux tira un poignard et le lui mit surla gorge.

Puis il lui dit en langue indoue :

– Nous désirons t’interroger et nousallons t’ôter ton bâillon.

Il est inutile que tu cries, car tous les gensde cette maison sont gagnés par celui qui nous envoie, et aucund’eux ne viendra à ton secours. En outre, tu ferais de vainsefforts pour éveiller ton maître.

On lui a servi dans son dernier repas unnarcotique dont les effets ne se dissiperont pas avant quelquesheures.

L’Indien est prudent, il est calme ; ilsait, après avoir résisté inutilement, feindre une résignationentière et subir la volonté de ce dieu des dieux qu’il appelle laFatalité.

Moussami cligna ses paupières d’une manièrequi voulait dire :

– Je suis prêt à vous répondre.

Alors ils lui ôtèrent son bâillon et ledressèrent contre le mur où ils l’appuyèrent.

Il était si étroitement lié qu’il lui eût étéimpossible de faire un mouvement.

Le bâillon ôté, le vieil Hindou luidit :

– Tu es au service de ce blanc ?

– Oui, répondit Moussami.

– Comment se nomme-t-il ?

– Avatar.

– Sais-tu d’où il vient ?

– Non.

– Depuis quand le sers-tu ?

– Depuis huit jours.

– Tu mens.

– Je vous affirme, répondit Moussami sanss’émouvoir, que je ne suis à Calcutta que depuis huit jours.

– C’est possible. Mais tu le connaissaisauparavant.

– Non.

– Tu mens, répéta le vieil Hindou.

Moussami répondit avec flegme :

– Il est impossible de dire la vérité àqui ne veut pas l’entendre.

Le vieil Hindou reprit :

– Ton maître a été un ami du rajahOsmany ?

– Je ne sais pas.

– Le rajah lui a donné unanneau ?

– Je ne sais pas.

– Cet anneau, le voilà.

– Ah ! dit Moussami, qui feignit leplus grand étonnement.

– Parle franchement, reprit celui quil’interrogeait, si tu tiens à vivre vieux.

Moussami répliqua :

– Je ne puis pas savoir si mon maîtretient cet anneau du rajah, puisqu’il ne me l’a jamais dit. Maisvous me le dites et je vous crois.

– Cet anneau, poursuivit le vieil Hindou,ton maître doit le montrer à quelqu’un.

– À qui donc ?

Et Moussami prit un air niais.

– Voilà ce que nous ne savons pas et ceque nous voulons savoir.

– Je ne puis vous le dire.

Un éclair de colère brilla dans les yeux duvieillard :

– Si tu savais le sort qui t’attend, tuparlerais.

– Je ne demande pas mieux, mais je nesais rien.

Le vieillard eut un geste d’impatience.

Puis il se tourna vers soncompagnon :

– Puisque la langue de cet homme n’estbonne à rien, dit-il, il faut la couper.

Moussami ne sourcilla point. Le jeune Indienprit à sa ceinture un poignard à lame effilée et tranchante commeun rasoir et dit :

– Je suis prêt.

Moussami essaya de briser ses liens et par unviolent effort, il se rejeta en arrière.

Mais les deux Indiens se jetèrent sur lui etle terrassèrent de nouveau.

– Parle, dit le vieillard.

– Je ne sais rien, répliqua-t-il.

– Tu ne veux pas nous dire dans quelendroit de la ville demeure l’homme à qui ton maître doit montrercet anneau ?

– Je ne le sais pas, mais lesaurais-je…

– Eh bien ?

– Je ne vous le dirais pas.

– Alors qu’il soit fait ainsi que je l’aiordonné, dit le vieillard.

Il avait posé un genou sur la poitrine deMoussami. Il lui prit le cou dans ses mains crispées et serra.

À demi étouffé, Moussami ouvrit la bouchetoute grande et, profitant de ce moment, le jeune Indien y plongeasa main toute entière et lui saisit la langue.

Puis, avec l’autre main qui tenait lepoignard, il la coupa.

**

*

À partir de ce moment, Moussami ne savait plusrien.

La douleur lui avait arraché un hurlement.

Puis l’hémorragie avait amené chez lui unévanouissement.

Ma voix seule l’avait tiré de cette espèced’anéantissement physique et moral.

Je pansai le pauvre diable comme je pus,déchirant les draps de mon lit pour en faire de la charpie.

Puis je m’écriai :

– Il faut pourtant que je sauve l’enfantdu rajah Osmany et sa fortune.

Et laissant Moussami qui, du reste, était horsd’état de me suivre, je m’élançai hors de ma chambre, bien décidé àcourir chez le vieil Hassan, à lui dire ce qui était arrivé et à lemettre en garde contre quiconque lui présenterait l’anneau durajah.

Mais comme j’allais franchir le seuil del’hôtel, deux officiers de police anglaise s’approchèrent de moi etme prirent au collet.

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