Amours Délices et Orgues

L’INHOSPITALITÉ PUNIE

À la fin, l’orage éclata.

Un coup de tonnerre déchira le ciel,effroyable.

Ce fut comme si tout un conclave d’artilleursen délire s’amusait à déchirer, frénétique, une énorme pièced’extra-solide toile de Flandre.

Se mirent à pleuvoir des œufs de pigeon aussigros que des grêlons, ou, pour parler plus exactement, des grêlonsaussi gros que des œufs de pigeon.

Ce fut par toute la nature, chez les gens etchez les bêtes, un général affolement.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire,les êtres animés qui composaient le village avaient trouvé leurabri.

Seuls, deux pauvres gens continuaient àmarcher dans la plaine.

Un vieil homme et un homme jeune.

Le vieux, un grand à barbe blanche, nobleallure, et, en dépit de ses hardes, un peu rococo, très chic,vraiment très chic.

Le jeune, une trentaine d’années, barbe etcheveux assez longs, roux, extrême distinction, avec, sur sa face,une indéfinissable expression d’exquise tendresse. Accoutrement pastrès moderne, mais beaucoup de charme.

L’homme jeune tenait à sa main une cage enosier où gémissait, lamentable, une tourterelle.

Voici que la grêle redoubla de rage etcontrainte fut à nos voyageurs de se reposer sous un orme duchemin.

Faible abri aux feuilles en allées, auxbranches hachées. Enfin, c’était toujours ça, n’est-cepas ?

Une carriole vint à passer au galop.

– Pardon, monsieur, fit poliment le plusvieux de nos deux voyageurs, s’adressant à l’homme de la voiture,pourriez-vous nous indiquer, non loin d’ici, la demeure d’unepersonne de grande piété ?

Sans paraître aucunement interloqué de cettedemande insolite :

– Tout près de là, répondit l’homme, danscette petite maison rouge, habite la plus grande dévote de toute laparoisse.

– Merci, monsieur !… Allons-ychercher un refuge, mon enfant, car je vois s’écorcher ton visageet tes mains.

– Oh ! mon père, j’en ai vu biend’autres ! répondit le jeune homme avec un sourire d’unemélancolie poignante.

Hâtant le pas, nos deux personnages sedirigèrent, avec leur tourterelle, vers la maison de la dévote.

– Pardon, madame, fit poliment le plusvieux, vous siérait-il d’offrir un refuge à deux pauvres voyageurssurpris par l’orage.

Les traits de la bonne femme se contractèrent,et l’expression du mauvais accueil grimaça sa haineusephysionomie.

– Fichez-moi le camp, fainéants ! Jene veux pas de vagabonds ici !

La tourterelle se mit à roucoulerdouloureusement, et les deux pauvres gens semblèrent plus peinésqu’irrités de cette peu écossaise hospitalité.

– Pourtant, insista le jeune, l’Évangilevous dit…

– L’Évangile ne nous dit pas de recevoirtous les galvaudeux qui passent dans le pays… Et puis, en voilàassez ! Fichez-moi le camp ! Oust !

Cette fois, le vieux perdit patience, et,levant le doigt au firmament :

– Ah ! c’est comme ça que vous leprenez ! s’écria-t-il.

Comme par miracle, la grêle cessa de tomber,le ciel redevint d’un bleu subit, une petite buée monta du sol etdoucement, légèrement, se concréta en nuage autour des deuxvoyageurs.

Ces derniers, ouvrant la petite cage d’osier,donnèrent l’envol à la tourterelle, qui, d’ailleurs, n’était autrequ’une colombe.

Tous les trois alors, confortablementinstallés en leur nuage, s’envolèrent lentement vers le ciel.

La vieille dévote comprit à ce moment lagrossière erreur qu’elle commettait, et, les mains jointes, elletomba à genoux.

Les gens qu’elle venait de mettre à la portesi désinvoltement, c’était – le subtil lecteur l’a deviné, sansdoute – c’était le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Elle voulut les rappeler, mais trop tard,hélas !

La Sainte-Trinité frisait déjà la cime deshauts peupliers et, bientôt, elle disparaissait dans la sérénité duciel.

Et la vieille dévote n’en mena pas large, surla question de son repos éternel.

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