NÉFASTE, – PARFOIS, – INFLUENCE DE JEANRICHEPIN SUR LA LYRE MODERNE
Pour Tiarko.
De tous les beaux vers de Richepin qu’on avaitdits, ce soir-là, deux particulièrement demeurèrent dans l’espritdu jeune homme.
C’étaient ces deux-ci, qui se trouvent, sauferreur, dans la Chanson Aryenne :
Nous nous étalons
Sur des étalons.
Cette rime : étalons etétalons le tourmenta toute la nuit, et, le lendemainmatin, sans avoir rien cherché, par simple et inconscient génie, lejeune homme, en se réveillant, murmura, complétant l’idée dumaître :
Nous nous étalons
Sur des étalons,
Et nous percherons
Sur des percherons.
Et alors, la torture de la hantise commençapour lui : le pauvre garçon était poète ! Et quelpoète !
Hier, il est venu me lire son morceau, enespoir que j’en parle à Madame Adam, sur l’esthétique de laquelle,exagéra-t-il, je fais la pluie et le beau temps.
Avant que ce poème ne paraissein-extenso dans la Nouvelle Revue, j’ai la bonnefortune d’en pouvoir donner quelques extraits ici-même.
Je n’ai pas la prétention que ce genre plaiseà tout le monde ; il sera même très âprement discuté dans lesmilieux littéraires ; mais nul ne songera à en discuter lacurieuse et fertile tendance :
Nous nous étalons
Sur des étalons,
Et nous percherons
Sur des percherons !
C’est nous qui bâtons,
Àcoups de bâtons,
L’âne des Gottons
Que nous dégottons !…
Mais nous l’estimons[3]
Mieux dans les timons.
Un joli couplet sur l’amour brutal :
Nous nous marions
Àvous Marions
Riches en jambons.
Nous vous enjambons
Et nous vous chaussons,
Catins, tels chaussons !
Rappel à de plus délicates et subtilescaresses.
Oh ! plutôt nichons
Chez nous des nichons !
Vite polissons,
Les doux polissons !
Pompons les pompons
Et les repompons !
En passant un chœur vigoureux d’intrépidespêcheurs :
C’est nous qui poissons
Des tas de poissons,
Et qui les salons
Loin des vains salons !
Fatigués de l’amour brutal, des subtilescaresses, de la pêche et des salaisons, si nous faisions un bonrepas ?
Oyez-moi ce menu :
Tout d’abord pigeons
Sept ou huit pigeons.
Du vieux Pô[4] tirons
Quelques potirons !
Aux doux veaux rognons
Leurs tendres rognons,
Qu’alors nous oignons
Du jus des oignons !
Puis, enfin, bondons-
Nous de gras bondons !
Les vins ?… Avalons
D’exquis Avallons !
Après quoi, ponchons
D’odorants ponchons[5].
Mais tout ce programme exige beaucoupd’argent. Vite en route pour le Kloudike :
Ah ! thésaurisons !
Vers tes horizons
Alaska, filons !
Ànous tes filons !
Une rude vie que celle des chercheursd’or :
Pour manger, visons
Au front des Visons,
Pour boire, lichons
L’âpre eau des lichons[6].
Malheureusement, je ne puis tout citer (lepoème ne comporte pas moins de 1,342 vers).
Quelques passages sont d’un symbolisme dont,malgré ma très vive intelligence, m’échappe la signification.
Celui-ci entre autres :
Ce que nous savons
C’est grâce aux savons
Que nous décochons
Au gras des cochons !
Le sens des deux derniers vers est plustangible :
Oh ! mon chat, virons,
Car nous chavirons !
Le fait est qu’il y a un peu de ça !