Amours Délices et Orgues

LE CHARCUTIER PRATIQUE

C’est ce même charcutier qui répondit un jourà une commission d’hygiène qui enquêtait sur les industriesinsalubres :

– Où je jette mes résidus ? Quelsrésidus ?

– Vos résidus, parbleu ! vosdétritus.

– Des détritus ! Mais je n’ai jamaiseu de détritus ! Un bon charcutier ne sait pas ce que c’estqu’un détritus. Dans notre métier, messieurs, c’est comme dans lanature : rien ne se perd, tout se transforme.

Cet homme disait vrai : industrielpratique, avisé commerçant, il faisait flèche de tout bois etmarchandise de toute substance.

Des plus aimables, au reste, des plus galants,des plus joviaux, ah ! le brave charcutier que c’était, cecharcutier-là !

Tous ces mille avantages ne l’empêchaient pasd’être un terriblement gros individu.

Vous avez sans doute, bons lecteurs, au coursde votre longue carrière, rencontré d’énormes charcutiers ; ehbien ! prenez les deux plus conséquents,agglomérez-les et vous obtiendrez à peine un type aussi volumineuxque mon charcutier, à moi.

Tout alla bien jusqu’au jour où notre homme,se mêlant d’engraisser encore, ne put plus bouger et contracta, decette immobilité, une grave maladie.

Des médecins consultés l’engagèrent à se faireenlever son excédent de graisse.

Les bras qu’il jeta au ciel à cette invite,vous les voyez d’ici !

Mais non, ça n’était pas si dangereux, et,grâce aux ressources dont la chirurgie moderne dispose, affirmèrentles morticoles, on vous enlève à un homme trente ou quarante livresde graisse avec l’aisance que met le perruquier à vousrafraîchir la barbe.

Le pauvre charcutier demanda à réfléchir.

– Un de ces jours, murmurait-il, un deces jours.

Et chaque fois que son médecin revenait à lacharge, l’homme gras répétait :

– Je me déciderai bientôt.

Un beau soir, il prit la résolution virile, etfit convoquer d’habiles chirurgiens munis de fins aciers et dechloroforme.

L’opération s’accomplit à souhait.

On débarrassa le patient d’une partie de sonadipeux fardeau, sans même qu’il se réveillât.

Huit jours après, notre homme descendait de sachambre, n’ayant pas connu la fièvre une seule minute.

Par tout le quartier, ce fut unémerveillement.

Je tins à le féliciter :

– Tous mes compliments, mon cher, devotre sveltesse ! Un roseau, on dirait ! Mais dites-moi,pourquoi ne vous être pas décidé plus tôt ?

Le charcutier eut un clignement de ses petitsyeux malins et répondit :

– J’attendais la hausse des suifs.

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