Amours Délices et Orgues

SIMPLE CROQUIS

Le jour des régates.

Il est neuf heures et la première course estpour dix heures et demie.

Le commissaire général de la fête, un jeuneavocat doublé d’un parfait gentleman, procède au dernier coup d’œilsur l’installation.

Avec mille recommandations précises etminutieuses, il pose un douanier par-ci, un matelot par-là :« C’est bien entendu, n’est-ce pas, mon ami ? Vous nelaissez pénétrer ici que les cartes roses. » – « Oui,monsieur. »

Il fait signe à un vieux marin qu’on appellele père Nul-s’y-Frotte : « Venez avec moi, monbrave ! »

Le père Nul-s’y-Frotte s’amène de son vieuxpas de roulis.

– Vous vous tiendrez là, mon brave, etvous empêcherez tout le monde, vous entendez bien, tout le monde,sauf ces messieurs de là commission nautique, de passer sur cequai.

– Entendu, monsieur !

– Vous direz aux gens de faire letour.

– Entendu.

À ce moment, une famille s’avance avec laprétention de fouler le quai prohibé.

– Impossible ! s’écrie lecommissaire général des régates. Ce quai est spécialement réservé àces messieurs de la commission nautique.

– Mais… puisqu’il n’y a encorepersonne.

– Mille regrets, mais nous sommes tenusd’avoir une discipline très stricte. Dura lex, sedlex !

Dura lex, sed lex ! Devant cetterigide latinité, les bonnes gens ahuris n’insistent pas et font letour.

– Vous avez vu, mon brave, comment on s’yprend ?

– Compris ! Vous pouvez compter surmoi !

Resté seul, le père Nul-s’y-Frotte s’introduitdans la bouche une bonne chique et cherche une belle attitude,comme au temps où, fringant novice, il assistait au bombardementd’Alger à bord de la frégate l’Astucieuse.

Arrivent deux messieurs pressés.

– On ne passe pas, messieurs !

– Seulement pour traverser.

– La consigne est la consigne.

– Allons donc !

– C’est comme gai ! Faites letour !

Un des messieurs exhibe de sa poche une joliepièce de vingt sous qu’il fait miroiter aux yeux du vieil homme demer.

Ce dernier suppute brièvement que, dame !vingt sous c’est un paquet de tabac et plusieurs petitsverres ; il constate l’absence de tout témoin et, en moins detemps qu’il n’en faut pour l’écrire, empoche le franctentateur.

– Passez vite, messieurs.

– Merci, mon vieux dur-à-cuire !

Le père Nul-s’y-Frotte lève les bras dans ungeste mou d’auto-excuse et murmure en imitation de la parole ducommissaire :

– Dur-à-cuire… sed cuire !

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