Amours Délices et Orgues

UN POINT DE DROIT

– Cet homme-là ! avait coutume dedire Madame Citronnier dans son langage trivial et parfoisexcessif, cet homme-là me tromperait sur la tête d’unteigneux !

Patente exagération, car, en dehors de laquestion de propreté, la tête d’un teigneux se prête mal àl’exécution d’un pourchas d’amour.

Néanmoins, on peut dire sans crainted’exagération que M. Citronnier trompait sa femme sur unevaste échelle, ce qui n’est déjà pas si commode, croyez-lebien !

Bref, M. Citronnier était un de ces marissi coureurs, si coureurs, que Willy n’hésiterait pas à imprimerd’eux qu’ils ont la manie adultérine (de lièvre).

– Je ne te demande qu’une chose, mon ami,répétait souvent la grosse Madame Citronnier, c’est de ne pas metromper au domicile conjugal, parce que, sans ça !…

Sans ça !… C’était son quosego !

M. Citronnier se l’était tenu pour ditet, s’il continuait à tromper sa femme sur une vaste échelle, ils’arrangeait de manière à ce que cet accessoire fût situé en dehorsdu logis matrimonial.

Un jour, pourtant, il faillit être pincé.

… Tous les ans, pendant l’été, M. etMadame Citronnier louent une petite villa, tantôt dans les environsde Paris, tantôt au bord de la mer.

Cette année, ils ont loué pour la saison, auxenvirons de Cabourg, un pavillon dont l’architecture rappellevaguement celle des villes italiennes et que, pour cette raison, lepropriétaire a spirituellement baptisé Asti-Cottage.

Asti-Cottage est une demeurecharmante, avec petit jardin et vue sur la mer.

Malheureusement pour la pauvre MadameCitronnier, cette vue sur la mer se double d’une autre vue sur lejardin d’à côté, et dans le jardin d’à côté vaque sans cesse unejolie petite bonne, fraîche comme une petite pomme d’api et, commece fruit, rondelette.

Dès la première aperçue de l’accorte servante,l’inflammable cœur de M. Citronnier s’était mis à flamber,comme si un fumeur imprudent y avait jeté une allumette nonéteinte.

M. Citronnier, fort joli homme encore, etde mimique habile, ne fut pas long à faire agréer sa flamme.

Bientôt, les yeux de la petite bonne sedénuèrent de toute sauvagerie à l’égard de notre galantin.

Et quand la grosse Madame Citronnier demandaità son mari :

– Tu ne sors pas avec moi ?

– Non, répondait l’hypocrite époux, je mesens un peu mal à la tête. Sors seule, je te rejoindrai sur laplage, dans une heure.

Contre le mur, alors, dans le coin le plussombre des jardins, deux échelles se dressaient, l’uned’Asti-Cottage, l’autre dans le Chalet desGratte-Culs.

Je dois à la vérité l’hommage de déclarer queles choses n’allaient pas plus loin que de simples baisers et desgestes tendres.

Citronnier n’aurait pas demandé mieux que laconsommation immédiate d’actes plus définitifs, mais Césarine,comme le lièvre et peut-être dans la crainte d’un lapin, préféraitattendre.

La suite, vous la devinez.

Un beau jour, Madame Citronnier rentrainopinément et surprit nos deux amoureux en la susdite posture.

Sans mot dire, elle sortit sur la pointe despieds et amena deux témoins, un juge de paix en retraite, et sonjardinier.

– Qu’y a-t-il donc ? s’informait levieux magistrat.

– Vous allez voir.

Tout occupés à leur gracieuse besogne, lescoupables n’entendaient point s’avancer les témoins.

Quand ces derniers furent au pied del’échelle :

– Messieurs, s’écria Madame Citronnierd’une voix forte, je vous prie de constater que mon mari me trompe…et me trompe dans le domicile conjugal !

– Pardon, interrompit le juge de paix, cemur est-il mitoyen ?

– Il est mitoyen.

– Alors, chère madame, votre mari ne voustrompe pas au domicile conjugal.

– Mais…

– Il n’y a pas de mais !jamais un tribunal ne voudra considérer comme domicile conjugal lacrête d’un mur mitoyen !

Madame Citronnier était furieuse :

– Et vous appelez ça de la justice !s’écriait la pauvre femme.

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