Amours Délices et Orgues

L’ANNÉE DIPLOMATIQUE

À A. Saissy.

À la fin de chaque année – c’est une coutumequi m’a toujours réussi – je jette les yeux en arrière et m’arrêteà la contemplation des événements diplomatiques accomplis au coursde ces douze mois écoulés.

Hélas ! aujourd’hui, le spectacle n’estpas des plus réjouissants : partout, on n’entend parler que demalheurs !

Pour ne causer que de notre continent,croyez-vous que l’état de l’Europe soit bien agréable ?

De quelque côté que vous jetiez les regards,mille points noirs surgissent à l’horizon européen.

Si vous connaissez un peuple qui soit contentde son sort, vous seriez bien aimable de me l’indiquer ; moi,je n’en connais pas.

Et dire que tout ce malaise provientuniquement de malentendus !

Il y a quelques années, le capitaine Cap,alors mon ami, proposa, pour en finir avec cette double etvéritable question des Balkans et des Dardanelles, proposa, dis-je,de f… les Balkans dans les Dardanelles.

C’était l’avis d’un sage.

Inutile d’ajouter que les diplomates nedaignèrent même point examiner cette solution, pourtant siingénieuse.

En général, les diplomates sont ennemis de lapaix, parce que leurs parents sont officiers et conséquemmentintéressés à la guerre, la guerre fertile en désastres mais richeen avancements.

… Beaucoup de Français se réjouirent de lavenue du tsar dans notre pays et en conçurent pour la France lesplus flatteuses espérances.

Certains esprits grincheux objectèrent :Avant de rendre l’Alsace et la Lorraine aux Français, l’empereur deRussie ferait bien de rendre la Pologne aux Polonais.

Et ils ajoutèrent : Pourquoi Nicolas II,qui n’hésita pas, au cours de son voyage en Allemagne, à revêtirl’uniforme prussien, n’agit-il point de même chez nous ?

Pour ce qui est de cette dernière observation,un document que j’ai sous les yeux me permet de la réfuterpleinement et définitivement.

Quand le voyage de Nicolas II en France futdécidé, le tsar se commanda immédiatement un uniforme de chef debataillon de mobiles de la Seine-Inférieure, absolument semblable àcelui que portait Félix Faure en 1870-71.

C’est dans cette tenue que le tsar comptaitdébarquer à Cherbourg.

Pour des raisons que nous n’avons pas àapprécier ici, le protocole crut devoir s’opposer à cettesympathique manifestation.

N’insistons pas.

Un autre et important facteur de discorde,c’est l’amour-propre des souverains d’Europe.

On n’a pas idée de l’ostination deces bougres-là !

Il est bien certain que Guillaume II ne tientà l’Alsace-Lorraine pas plus que son moscovite cousin à laPologne ; mais un sentiment bête de fierté les retient et leurprohibe à tous deux la moindre conciliance.

M. Hanotaux, avec qui je sablais cettenuit le joyeux Léon Laurent, me confia un rêve qu’il caresse depuislongtemps et dont la réussite pourrait bien être le premier pasvers le désarmement.

Voici le projet dans sa simplicité :

L’empereur d’Allemagne remettraitl’Alsace-Lorraine aux Polonais, pendant que le tsar de toutes lesRussies offrirait la Pologne aux Alsaciens-Lorrains.

Ce serait ensuite à ces messieurs des’arranger.

Quant à la question de Gibraltar, laquelle nemanque pas de taquiner fort nos amis les fiers Espagnols, on larésoudrait ainsi :

La reine d’Angleterre épouserait le jeune roid’Espagne, et comme cadeau de noces, rendrai aux Espagnols cerocher de Gibraltar auquel ils ont la faiblesse de tenir, bienqu’il soit d’un rendement agricole pour ainsi dire dérisoire.

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