Amours Délices et Orgues

LA NOUVELLE DIRECTION – DE L’ODÉON

Le nouveau directeur n’est autre que notreexcellent ami et distingué collaborateur M. TristanBernard.

Cette nomination s’est accomplie dans descirconstances assez pittoresques et qui me semblent mériterl’honneur d’une courte relation.

Nous nous trouvions, hier, M. TristanBernard et moi, dans un cabinet particulier, en compagnie de deuxsociétaires de la Comédie-Française dont le nom n’ajouterait aucunesaveur à ce récit.

La conversation affectait un tour folâtre à lafois et sagace, selon que la parole était à l’un ou à l’autre denous quatre.

On vint à causer de l’Odéon :

– Moi, dit Bernard, si j’étais directeurde l’Odéon, voici ce que je ferais…

Et il nous développa le plus ingénieux desprogrammes.

La grande concurrence à l’Odéon, c’est lecafé-concert et la brasserie.

Plutôt que d’être parqués tout un soir en unstrict fauteuil, les jeunes gens préfèrent fumer et boire bien àleur aise, même au risque d’entendre de déplorables littératuresmises en musique par d’anciens concierges.

M. Bernard proposait alors de luttercontre les brasseries et cafés à musique avec leurs propres armes,c’est-à-dire de transformer l’Odéon – ses dimensions le luipermettent – en un vaste hall où les spectateurs circuleraientaisément, pourraient fumer et boire.

La modification de l’Odéon ne porterait passeulement sur ces détails matériels.

Le répertoire classique subirait quelquestransformations, surtout des coupures, énormément de coupures.

Les morceaux supprimés seraient remplacés parune musique gaie, dansante et vivace.

Ne négligeons pas de rajeunirl’interprétation : Jeanne Bloch proférerait à merveille lesImprécations de Camille et Sulbac ne serait-il pas le Polyeucteidéal ?

M. Tristan Bernard en était audéveloppement de son programme, quand un garçon du Restaurantpénétra dans notre cabinet.

– Messieurs, fit-il, pardon de vousdéranger, mais il y a dans la petite salle à côté un monsieur quivoudrait vous causer.

– … Qui désirerait causer avec nous,rectifia l’une de nos compagnes.

– Qu’il entre ! fit Bernardredressant sa haute taille dans sa correcte redingote et passant samain sur son visage glabre.

Le noble étranger, vous l’avez deviné, c’étaitHenry Roujon.

Il s’excusa très aimablement de sonindiscrétion, mais les cloisons de ce restaurant se composantexclusivement de pelures d’ognon, il n’avait pu faire autrement qued’entendre notre conversation.

– Votre programme, ajouta-t-il, mon chermonsieur Bernard, me botte comme un gant (sic). Voulez-vous prendrela direction de l’Odéon ?

– À une condition, exigea Bernard, quevous prendrez vous-même un verre de chartreuse.

– Volontiers.

Un quart d’heure après la tenue de ces propos,nous étions tous à la direction des Beaux-Arts.

M. Adrien Bernheim, fort obligeamment,alla lui-même quérir du papier timbré au bureau de tabac du coin dela rue, et les signatures s’échangèrent avec une simplicité quasibiblique.

Ajoutons que le début de la direction Bernardsera pour une reprise d’Horace de notre vieuxCorneille.

La pièce, retapée au goût du moment, serajouée avec le concours de la troupe Price, sous le titre :

THE O’RACE BROTHERS

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