Amours Délices et Orgues

BATRACHOMATISME

Peut-être se souvient-on de la vigoureusecampagne menée par moi dans ces colonnes pour l’emploi des moteursanimés en remplacement des machines à houille, à pétrole et autresanalogues.

L’idée fait son chemin.

Sous l’énergique impulsion d’un grandconstructeur de Malines, M. Louis Delmer,l’hippomobilisme est en train de devenir une des plusimportantes industries modernes.

Plusieurs hippocycles circulent àmerveille sur les routes d’Angleterre.

M. Adrien de Gerlache, le hardi marinbelge qui se prépare à l’exploration du Pôle Sud, a commandé chezun constructeur de navires de Christiandsand troisbear-boats, sorte de canots dont l’hélice est actionnéepar un ours blanc tournant dans une cage, tel parfois l’écureuil denos climats.

Bref, l’idée est en route, et bien enroute.

Les ingénieurs se décident enfin à comprendreque les entrailles de la terre ne sont pas inépuisables et qu’unjour viendra, plus tôt qu’on ne croit, où notre globe, creusé àl’instar d’un vieux navet, ne recèlera plus une parcelle decharbon, une goutte de pétrole.

Alors, tas d’andouilles, comment lesferez-vous marcher, vos machines à vapeur, vos bécanes àessence ?

Quand ce moment arrivera, dites-vous, vous neserez plus de ce monde, et vous vous fichez de ce qui se passeraalors.

Joli raisonnement et qui montre bien de quelégoïsme se pétrit votre âme sèche.

Heureusement, tout le monde n’est point commevous : des esprits généreux, dépouillés de vos salescontingences, veillent, et, dans l’ombre, travaillent à la bonneéclosion des temps futurs !

… J’ai eu le vif plaisir de visiter récemmentplusieurs usines à moteurs animés, construites d’après mesdernières indications.

L’une emploie trente mille souris dont letravail représente une force de quarante chevaux-vapeur.

Ces trente mille souris, divisées en deuxéquipes se relayant toutes les trois heures, actionnent une immenseroue creuse qui tourne avec une régularité et une puissancevéritablement stupéfiantes.

Voilà donc une force absolument gratuite, carles quelques francs que coûtent la paille et la nourriture dessouris (croûtes de pain, pelures de fromage, détritus ménagersprovenant de la ville voisine) sont amplement remboursés parl’excellent fumier que produisent nos petits artisans (300 kilospar jour, soit plus de 100 mille kilos par an !).

L’autre usine me sembla plus curieuse encore,celle dont les machines sont mues par des grenouilles.

Même principe que dans la première : uneimmense roue creuse semblable à celle dont les Anglais se serventdans leur hard labour.

Seulement, au lieu d’esthètes, ce sont desgrenouilles qui la font tourner.

On ne saurait se faire une idée de la forceproduite par la détente d’une grenouille qui saute.

La roue en question trempe, environ d’untiers, dans l’eau.

Pour empêcher les agiles batraciens de goûtertrop longtemps les délices de la natation, un petit courantélectrique vient, chaque minute, traverser l’eau, et alors, toutesnos grenouilles de sauter sur les palettes intérieures de laroue !

(Depuis les expériences que Galvani fit jadissur leurs aïeules de la branche italienne, les grenouilles ontconservé une profonde aversion pour l’électricité.)

Dans cette dernière usine, on n’emploie pasmoins de dix-huit mille grenouilles, dont l’énergie totaliséereprésente soixante chevaux-vapeur.

De tels résultats ne sont-ils pasconcluants ?

Dans une prochaine causerie, je reviendrai surcette passionnante question.

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