Amours Délices et Orgues

LA – PROFESSION TUE LE SENTIMENT –Panneau décoratif

Comme beaucoup de jeunes gens actuels,celui-ci vécut longtemps sans trouver sa vraie voie.

Il était encore tout petit, dans sa natalebourgade, que déjà le microbe du rythme fouillait ses méninges.

À peine arrivé à Paris, très ambitieux, ilporta à la Revue blanche quelques poèmes symbolards queces messieurs Natanson se gardèrent soigneusement d’insérer.

Il se rabattit sur des productions d’un ordremoins hermétique, et chanta les petits oiseaux qui s’aiment dans laramure au son du murmure des ruisseaux.

Ça n’était pas encore ça.

Une courte incursion dans la nouvelle en prosene lui valut pas plus de gloire ou d’argent.

Une soirée passée au café-concert fut sonchemin de Damas, et, à partir de ce moment, sa lyre ne vibra plusqu’en vue de nos music-halls nationaux.

Il faut dire que, tout de suite, il acquitdans ce sport une maëstria incontestable, un doigté peu commun, uneabondance torrentielle.

Tous les jours que Dieu fait (et il en fait,le bougre ! comme dit Narcisse Lebeau), notre ami abattit sapetite chanson. Et allez donc !

Il devint rapidement un des fournisseurs lesplus recherchés par ces messieurs et dames du concert.

Ne criez pas au surmenage ! Notre amicompose une chanson avec la désinvolture que vous mettriez à… je nesais pas, moi, à boire un bock, par exemple, ou… au contraire.

– Garçon, de quoi écrire !demande-t-il.

Un quart d’heure après, la chanson est prêtepour la renommée.

L’envers de cette glorieuse médaille, c’estque notre poète ne saurait plus maintenant écrire autre chosequ’une chanson.

Il n’a pas sitôt la plume à la main pourcorrespondre avec son tailleur, que le premier couplet en est déjàécrit.

Ainsi, hier, subitement bourrelé de remords àl’idée qu’il n’a pas donné de ses nouvelles à ses braves parentsdepuis près d’un an, il a crié, dans une brasserie du boulevard deStrasbourg :

– Garçon, de quoi écrire !

Voici le résultat :

Je vous écris, mes chers parents,

Pour vous donner de mes nouvelles.

Je n’ l’ai pas fait depuis longtemps :

Excusez-moi, nom d’une poubelle !

J’suis bien portant comme un bison

Et je souhait’ que la présente

Vous trouv’ tous d’ même à la maison,

Car la santé, ça vaut des rentes !

Suit un certain nombre de couplets, tousécrits dans cette langue châtiée, avec ce souci de la forme et dufond, cette ingéniosité rare et sûre, ces mille attraits qui fontde notre chanson de café-concert un art dont la France peut à bondroit s’enorgueillir.

Il donne à ses parents des détails sur sasanté, sa situation, ses projets d’avenir, et s’informed’eux-mêmes, du pays, des voisins, entre autres d’un certainLamitouille, sur lequel il s’exprime en termes relativement peuflatteurs :

Et c’lui qu’abus’ des mots en us,

Ce vieux bandit d’ pèr’ Lamitouille,

L’ patron du café Terminus,

Est-il toujours aussi fripouille ?

etc., etc.

À retenir les deux couplets finaux où l’ontrouve, heureusement réunies, toutes les qualités du jeune maître,rehaussées encore d’une pointe d’attendrissement :

Mon cher papa, ma chèr’ maman,

Je n’ vous en dis pas davantage,

Parce que me v’là précisément

Arrivé juste au bas d’ la page,

Avec Gustav’ le rigolo,

Tout à côté, j’vas prendr’ un verre.

La cuite au prochain numéro !

J’vous embrass’ bien, chers père et mère.

Quand il eut terminé sa missive, il exhala lebon soupir du devoir accompli ; mais comme Vaunel entrait, àce moment, dans le café, et lui demandait :

– Tu n’as rien pour moi ?

Le chansonnier sans cœur lui remit pour ladire, un de ces soirs, cette lettre où le fils avait mis toute sonâme.

Et voilà comment de pauvres gens, là-bas,pleurent, sans nouvelles de leur garçon.

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