Amours Délices et Orgues

UNE VOCATION

À quoi tient la destinée, souvent !

« À un rien, un souffle, un rien, uneblanche main… » (Air connu.)

Tout le reste naissance, éducation, fortune etautres balançoires, tout cela n’est qu’un pâle facteur dansl’évolution existentielle.

La vocation, entre autres, y croyez-vous, à lavocation ? Moi pas.

La vérité, c’est qu’on ne sait jamais…

L’histoire du grain de sable…

Pensez-vous, par exemple, que si une vieillegypsie avait prédit, il y a trente ans, au petit Cohen, qu’ils’appellerait un jour Isidore de Lara, et qu’on lui jouerait unenommée Moïna dans des conditions aussi flatteuses,pensez-vous, dis-je, que le petit Cohen aurait donné unemalheureuse pièce de six pence à la vieille radoteuse, enrécompense de sa « bonne aventure ? »

Le petit Cohen se serait contenté de hausserles épaules.

Voilà ce qu’il aurait haussé, le petitCohen !

Les épaules, et rien de plus.

… Si, au lieu des rares centimètres carrés decette publication, j’avais à ma disposition les copieuses colonnesde quelque massif in-quarto, je n’en terminerais pas àconter onze mille et des anecdotes à l’appui de ces dires.

Écoutons donc, et sachons nous contenter d’unexemple, mais bien typique :

Il n’y a pas si longtemps, quatre jeunes gensappartenant aux meilleures familles de Sedan (désignons-les par dediscrètes initiales : MM. Depaquit, Delaw, Darbour etPrairial), conçurent le projet de gagner des sommes énormes enemployant des procédés répréhensibles, mais rapides.

Ils se mirent en relation avec un des plushabiles de ces faux-monnayeurs dont pullule le pays d’Ardennes etlui commandèrent une fortune d’environ 100,000 francs en pièces decent sous que l’autre leur livra pour 1,500 francs (la moitiécomptant, le reste en billets).

Munis de cet honnête pécule, nos quatreadolescents eurent bientôt fait de débarquer sur la côte du Gabon,puis de s’enfoncer dans la Darkest Africa en question.

Faute de poneys islandais, peu répandus dansces régions, les jeunes aventuriers durent se contenter d’unecaravane de buffles, animaux indociles mais vigoureux.

Il s’écoula peu de jours (à peu près autant denuits), et voilà nos gaillards revenus vers le littoral, lotis deje ne sais plus combien de défenses d’éléphant, lesquellespesaient, chacune, je n’ose plus me rappeler combien dekilogrammes.

Et tous les quatre de se frotter les mains,leurs mains brunies par le rude soleil de ces parages.

Pour avoir roulé des indigènes, ils pouvaientse vanter d’avoir roulé des indigènes.

Leurs pièces de cent sous en plomb avaientpassé comme des lettres à la poste.

Et devant le soleil couchant, nos drillesfumaient, ravis, la pipe odorante de la légitime satisfaction.

À cette heure précise, un steamer anglaispassa non loin de là, qui, justement, cinglait sur Liverpool, legrand marché, comme chacun sait, de l’ivoire.

– Ohé ! du steamer !agitèrent-ils leurs mouchoirs.

Le steamer accosta.

Les conditions du transport furent vitefaites : le capitaine anglais, d’ailleurs, n’acceptait aucunmarchandage.

Et puis, quand on est titulaire d’une aussiféerique cargaison d’ivoire, combien mesquin d’ergoter pourquelques pounds !

Ah ! que ne dura-t-il plus longtemps, quene dura-t-il toujours ce voyage, trajet d’enchantement, d’espoir etd’ivresse !

À peine débarqués à Liverpool, les pauvresgarçons recevaient le plus rude coup qui puisse frapper unnégociant en denrées coloniales.

Leur ivoire était du celluloïd !

(Que cette aventure serve d’exemple auxtrafiquants superficiels, car la Société pour la conservationde l’éléphant d’Afrique inonde le pays de défenses encelluloïd parfaitement imitées.)

C’est alors que MM. Depaquit, Delaw,Darbour et Prairial, – c’est là que je voulais en venir, –complètement dégoûtés du commerce, se jetèrent, éperdus, dans lesbras consolateurs du grand Art.

Ajoutons qu’ils eurent grand soin d’ajouter àleur crayon un joli brin de plume, et réciproquement.

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