Amours Délices et Orgues

PÉNIBLE MALENTENDU

Les petites danseuses causaient en attendantle signal du divertissement :

– Et toi, Juliette ?

– Moi, j’ai un vieux, ma chère, un vieuxépatant !

– Ça doit te changer de tesgigolos ?

– Oh ! oui, et je vous prie decroire qu’il n’était pas trop tôt !

– Calé ?

– Nous n’avons pas encore abordé laquestion, mais je suis bien tranquille : c’est un bonhommetout ce qu’il y a de plus chic.

– Qu’est-ce qu’il vend ?

– Rien ! Il était préfet sousl’Empire.

– Ça ne le rajeunit pas, ça, surtout sic’était sous le premier Empire.

– Ah ! dame ! ça n’est plus unpotache ; mais quoi ! faut bien qu’on s’amuse à toutâge !

– Et toi, est-ce que tu t’amuses aveclui ?

– Je m’amuse… sans m’amuser… C’est unmaniaque, ce bonhomme-là, un drôle de maniaque, même !

– Tu nous dégoûtes, Juliette ; maisraconte-nous tout de même la manie de ton bonhomme.

– Eh bien ! il n’a qu’une passion,celle de m’arranger les pieds.

– T’arranger les pieds ?

– Oui, il s’amène tous les matins, aprèsmon tub : « Et ces jolis petons ? » qu’il medit. Alors, il sort une petite trousse de sa poche, et le voilà quis’amuse à me tripoter les patoches avec des petits ciseaux, despetites limes, de la poudre et tout… Les premiers jours, j’avaispeur qu’il me fasse mal ; mais non, au contraire, il est trèsadroit, ce vieux bougre !

– Faut peu de chose pour l’amuser, disdonc.

– J’aime autant ça, entre nous.

– Comment l’as-tu connu ?

– C’est un soir, à la brasserie, Alfredqui me l’a présenté… Alors, il m’a dit qu’il m’avait vu danser etque j’avais des jolis petits petons, et patati, et patata, et quesi je voulais qu’il vienne le lendemain matin, il aimerait bien lesvoir au naturel…

– Quoi, tes pieds ?

– Bien sûr, mes pieds.

– Il y en a qui les aiment mieux à laSainte-Menehould.

– C’est bon pour toi… Alors, pour enrevenir à mon vieux, comme il avait vraiment l’air très chic, avecdes moustaches cirées, je lui ai donné mon adresse, et voilà huitjours que ça dure. J’attends jusqu’à la fin du mois pour lui causersérieusement.

Les petites camarades de Juliette semblaientintéressées au plus haut point, et c’était à qui d’ellesraconterait les plus étranges perversions génésiques dont ellesavaient été témoins ou confidentes.

– Oui, ma chère, j’ai connu un vieux quine s’amusait que comme ci, et un autre qui ne s’amusait que commeça…

Et elles ne manquèrent plus, chaque jour, des’informer auprès de Juliette :

– Et ton vieux ?

Un soir, Juliette accueillit l’interpellationavec des sanglots dans la réponse :

– Mon vieux, ah ! mes petiteschattes, quel lapin !… J’ai reçu un mot de lui : il medemandait cent francs, vingt visites à cent sous… C’était unpédicure, pauvres petites, un pédicure pour de vrai !

– Tu disais qu’il avait été préfet sousl’Empire ?

– Ça n’empêche pas.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer