MIEUX QU’UNE SŒUR ! – OU – UN RUDECOUP POUR LE PAUVRE AMOUREUX
Pauvre type !
Un jour, enfin, il s’était décidé à lui avouersa flamme.
La jeune fille écouta froidement le jeunehomme et, quand il eut fini de bégayer son ardente et sincèredéclaration, elle le pria de biffer de ses tablettes toutespoir.
De grosses larmes vinrent aux yeux du pauvregarçon, et, bien que de complexion plutôt rosse, la jeune fille(qui s’appelait d’ailleurs Alice) se sentit touchée.
Elle lui serra les mains très gentiment, leconsola, lui prédit l’oubli proche et conclut :
– Vous aurez toujours en moi une sœur,mon ami, une véritable sœur.
Le pauvre garçon jeta sur Alice un long regardde détresse et s’en alla chez lui sangloter tout à son aise ;après quoi, sur l’injonction paternelle, il gagna des contréespittoresques, en espoir d’oublier la cruelle.
Trois mois se sont écoulés.
C’est l’été.
Le jeune homme débarque au Havre, venantd’Amérique à bord de la Normandie dont le médecin (le siexcellent docteur Leca pourtant) n’a pu le guérir de sa fatalepassion.
Par une lettre trouvée dans son courrier, ilapprend qu’Alice, l’adorable Alice, villégiature tout prêt, àÉtretat.
Peu d’instants s’écoulent et le jeune hommearrive en cette charmante bourgade.
Son cœur, son pauvre cœur bat à casser lesparois de sa poitrine, une brume trouble sa vue et toutes lesfemmes qu’il aperçoit dans la rue, il croit que c’est Alice.
Sur la plage, une jeune fille est là quis’avance vers lui, la main tendue en cordial accueil.
Cette fois, c’est réellement Alice, Alicemille fois plus belle encore que cet hiver, Alice toute fraîche etrose en son costume de piqué blanc, Alice enfin, Alice !
Comment l’infortuné garçon ne s’effondre-t-ilpoint sur les galets, telle une loque mouillée, heureux prodige dela nature !
Alice a gardé sa main à lui dans sa menotte àelle.
– Vous souvenez-vous, mon ami, de ce queje vous ai dit, il y a trois mois ?
Quelques mots qui tiennent plus du gémissementque du langage articulé servent de réponse.
– Je vous ai dit, continue la jeunefille, que je serai toujours pour vous une sœur.
– Oui, une sœur, hélas !
– Depuis notre dernier entretien, monenfant, il s’est passé bien des événements.
– Ah !
– Oui, mon ami, et… ce n’est plusSœur que je suis décidée à être pour vous…
Le malheureux ne sait plus où il en est. Queveut-elle dire ?
Une lueur d’espoir filtre en son cœur… Maisnon, ce serait trop fou !
– Je suis décidée, mon ami, à devenirpour vous mieux qu’une sœur.
Elle insiste tellement sur le motmieux qu’il n’a plus de doute.
– Quoi !… Vous consentiriez… àdevenir… mieux qu’une sœur ?
– Oui, mon ami, car je vais devenir votreBelle-Mère !…J’épouse monsieur votre père à la fin dumois.
Le jeune homme n’eut pas grand appétit, cesoir-là, à l’hôtel.
Pauvre type !