Amours Délices et Orgues

ÉBÉNOID

Or, un matin, toute rose d’émoi, elle luimurmura :

– Ça y est ! j’en suis sûre,maintenant. Ça y est !

Et lui, tout au plus réveillé, grommelant,s’étirant :

– Quoi ? qu’est-ce qu’yest ?

Mais elle, plus rose encore, si rose qu’àpeine on entendit sa voix :

– Mon ami, le ciel a béni notreunion.

L’homme sursauta de ravissement :

– Tu blagues ? douta-t-il encore,trivial.

– Je ne blague jamais avec cesujet-là.

Ce fut alors une joie par toute lachambre.

Mariés depuis tantôt huit ans, les épouxDuzinc n’avaient jamais pu, malgré d’incessants labeurs, obtenirl’ombre d’une progéniture.

À quoi tenait cet état de choses ? On nesait pas. La faute à l’un ? La faute à l’autre ? La fauteaux deux ?

Quien sabe ? comme disaitMontaigne au toréador qui le rasait de ses questionsindiscrètes.

Du coup, M. Duzinc décida qu’il n’iraitpas à son bureau ce jour-là.

Père ! il allait être père !

Au déjeuner, sauta le bouchon du mousseux LéonLaurent.

Et au dîner aussi.

À la santé du petit !

Ou de la petite !

La grossesse de madame Duzinc se présentaaussi bien que les plus favorisés phénomènes de ce genre.

Comme toutes ses congénères,Mme Duzinc eut des envies.

Quelques-unes, étranges. Par exemple, celle dedéguster cette odieuse ratatouille : des confitures de fraisesmélangées de tripes à la mode de Caen. Ce mets n’était pas d’untrès joli ton.

Et de plus étranges encore : renouvelertout leur mobilier, leur mobilier clair, qu’on remplacerait par unautre en ébène. Un mobilier en ébène ! Voilà qui seraitgai ! M. Duzinc, net, refusa !

La belle-mère de M. Duzinc eut beaureprésenter à M. Duzinc tout le danger qui peut résulter d’unenon-exécutée envie, M. Duzinc tint bon. Un mobilier enébène ! Jamais de la vie !

La pauvre petite Mme Duzincpleura toutes les larmes de son corps. Et puis, arriva ce quidevait arriver : au bout du temps requis.Mme Duzinc mit au monde un enfant noir. Un enfantd’un très beau noir.

Je dois, pour l’honneur de la vérité, finirpar où j’aurais dû commencer :

Mme Duzinc, neuf mois avant lanaissance du surprenant baby, avait cru devoir partager la couched’un jeune attaché à la légation d’Haïti.

Cette histoire de mobilier d’ébène n’étaitqu’une frime.

Habile, d’ailleurs.

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