Amours Délices et Orgues

ARTILLERIE

Deux canonniers sont sortis de l’enfer,

Un soir, par la fenêtre.

Pour une mésaventure pas banale, voici unemésaventure pas banale :

« M. Goubel, raconte le PetitCalaisien, se trouvait, jeudi après-midi, dans les cabinetsd’aisances de son habitation, lorsque tout à coup, par suite d’unedérivation de tir, un boulet plein lancé par la batterie de lacommission d’expériences vint frapper juste à l’encoignure de lamaison où se trouvent les cabinets et y effectua une trouée de deuxmètres environ de long sur une largeur égale.

« M. Goubel, qui avait conservé toutson sang-froid, se protégea comme il put contre la chute de briquesqui lui tombaient sur le corps, de tous côtés, mais lorsqu’on vintenfin le tirer de sa mauvaise position, il n’en avait pas moins lesjambes fortement endommagées. Il en sera quitte pour une quinzainede jours de repos ! »

Au nom tout entier de l’élément civil, jesouhaite le prompt rétablissement de M. Goubel et je proposede voter un blâme à l’artillerie française, qui en prend un peu àson aise, n’est-ce pas ? de bombarder ainsi les gens en paix,si j’ose emprunter ce terme à notre maître Armand Silvestre.

La lecture de ce fait divers n’à point laisséque de m’inquiéter jusqu’aux moelles.

Précisément – et je demande pardon à meslecteurs de les entretenir de ces détails – mes water-closets sontsitués juste en face des essais de la fonderie Canet (canons à tirrapide que notre marine vient enfin d’adopter, entreparenthèses).

Je ne suis séparé de cette manufacture que parla baie de la Seine[8], douzepauvres kilomètres qui ne seraient qu’un jeu d’enfant pour cespuissants engins.

J’ai bien envie de faire venir des artisans etde les prier de revêtir extérieurement mes cabinets avec ce mélange(ciment et liège granulé) dont les Américains blindent certains deleurs cuirassés, car autant il me serait doux de mourir pour lagloire de ma France chérie, autant cela me semblerait ridicule derecevoir des boulets de canon dans le sein de mes W. C.

Et pourtant, je n’aurais pas volé cet étrangetrépas, car il s’en fallut peu, voilà une dizaine d’années, que lavaillante petite cité honfleuraise dont j’habite aujourd’hui lesparages, ne fût la proie des obus havrais, et cela sous madétestable impulsion.

La chose vaut peut-être la peine d’êtrebrièvement contée.

C’était un dimanche de la Pentecôte.

À bord du FrançoisIer, qui me transportait de Honfleur auHavre, se trouvaient deux artilleurs qui me parurent ivres autantde rage que de boissons fermentées.

Leurs poings se brandissaient vers la côte etdes cris s’exhalaient de leur gorge en fureur : Cochons deHonfleurais ! Salaud de pays ! Tas defripouilles !

Ils voulurent bien me mettre au courant de lasituation.

Arrivés à Honfleur par le précédent bateau,ils s’étaient, tout de suite, pris de querelle avec des pêcheursdans un cabaret du quai.

Bientôt survenus, les gendarmes empoignaientles canonniers et les réembarquaient de force, sous la huée desmarins, dans le paquebot en partance pour le Havre.

Leurs tentatives de débarquement vengeurfurent découronnées de succès.

Inde iræ !

– Mais ils peuvent êtretranquilles, hurlaient les bons artilleurs, nous y reviendronsdimanche, dans leur sale patelin ! Nous y reviendrons avec descamarades, et on leur cassera la gueule à tous !

De telles dispositions me parurent trop bellespour ne point être encouragées.

– Savez-vous, leur dis-je, ce que vousferiez, si vous étiez des hommes ?

– Non.

– Où êtes-vous casernés ?

– Au fort de Sainte-Adresse.

– Eh bien, à votre place, aussitôtdébarqué, je monterais au fort et je tirerais deux ou trois bonsobus sur ce ridicule Honfleur, qui sut si mal accueillir votrefantaisie d’artilleurs en joie !

– Oui, c’est ça ! BombardonsHonfleur ! C’est les gendarmes qui feront unegueule !

Arrivés au Havre, les canonniers burentencore, par mes soins, quelques alcools d’une rare violence.

Je les quittai sur la promesse formelle d’unimminent bombardement.

Ces fils de sainte Barbe ne tinrent pas leurpromesse, car la journée se passa sans la moindre manifestationobusière.

Peut-être une tutélaire et immédiate salle depolice s’opposa-t-elle à leur entreprise.

Je ne m’en consolai jamais.

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