Amours Délices et Orgues

LE KANGOUCYCLE

Les nombreuses personnes qui, profitant desderniers beaux jours, se promenaient hier au Bois, ressentirentsoudain une peu mince stupeur.

Toute une famille venait de leurapparaître : le père, la mère, deux grandes jeunes filles etun petit garçon, tous éperdument pédalant sur d’élégants tandemspeints en vert-nil.

Il y avait cinq tandems pour ces cinqpersonnes et le deuxième personnage de chaque tandem n’était autrequ’un kangourou.

N’écarquillez pas vos yeux, braves gens, vousavez bien lu : le deuxième personnage de chacun de cestandems, bel et bien c’était un kangourou.

Et tout ce monde, bêtes, gens, machines, passacomme un rêve.

Je me trouvais moi-même en ces parages,donnant un peu d’air à la triplette que je viens d’acheter avecBrunetière et Sarcey.

Non sans peine, nous suivîmes l’étrangevélochée[7] jusqu’à Suresnes.

Là, devant un modeste caboulot, la familleentière descendit.

Seuls, les kangourous demeurèrent en selle,calant la machine de leur puissante queue sur le sol appuyée.

Et rien n’était plus comique que le spectaclede ces animaux, graves et bien stylés, attendant sans broncherleurs maîtres, comme font les larbins anglais derrière lescarrosses des vieux lords.

Bientôt, nous avions fait la connaissance detoute la famille.

Avec sa coutumière bonhomie, Sarcey nousprésenta, Brunetière et moi, sous le jour le plus flatteur qu’ilput trouver.

À son tour, la plus jeune des jeunes filles seprésenta elle-même, puis nous présenta sa famille : son papa,sa maman, sa sœur et son petit frère.

Des Australiens.

Ces messieurs et dames rirent beaucoup denotre effarement et nous enseignèrent que, dans leur pays, lekangoucycle est aussi courait que, chez nous, la simplebicyclette.

Le kangourou, animal intelligent, docile etvigoureux, rend actuellement, aux Australiens, tous les servicesque les Esquimaux exigent du renne. Et même mieux, car, en matièred’industrie, l’Esquimau ne va pas à la cheville del’Australien.

Le kangourou – et les personnes qui serappellent les kangourous boxeurs du Nouveau-Cirque et desFolies-Bergère ne me contrediront pas – le kangourou est doué d’unavant-train à la fois souple et robuste (sans préjudice,d’ailleurs, pour la peu commune énergie de ses membrespostérieurs).

Sans s’arrêter aux vagues sentimentaleuriesqui ridiculisent notre vieille Europe, les Australiens ont depuislongtemps utilisé les vertus du kangourou.

L’une des dernières applications, c’estprécisément ce kangoucycle dont je parlais tout àl’heure.

Confortablement installé sur une petiteplate-forme en arrière de la deuxième roue, le kangourou actionnede ses pattes de devant une manivelle qui suffirait, au besoin, àla marche du tandem.

Je n’insiste pas sur l’inappréciableauxiliaire que représente mécaniquement (je pourrais direbécaniquement) ce vigoureux animal, mais je tiens surtoutà faire remarquer l’avantage de la parfaite stabilité, en route etau repos, que procure l’emploi de la longue et solide queue dukangourou.

Plus de pelles, plus de dérapages, plus besoinde descendre à chaque arrêt.

Le kangourou présente, en outre, le mérite deveiller sur la machine en votre absence, ainsi que ferait le chienle plus fidèle.

Une grande maison de banque anglaise vaprochainement lancer sur la place une grosse émission en vue degénéraliser sur le Continent l’emploi dukangoucyclisme.

Nous reviendrons sur cette affaire qui nousparaît, d’ores et déjà, de tout premier ordre.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer