Amours Délices et Orgues

HISTOIRE D’UNE MODE – BEAUCOUP PLUSVIEILLE QU’ON NE CROIT GÉNÉRALEMENT

Je parie que sur cent de mes lecteurs il s’entrouve quatre-vingt-dix (au bas mot) persuadés que la coutume, chezles gens chic, d’envoyer blanchir à Londres leur linge estd’innovation récente.

Ces quatre-vingt-dix (au bas mot) lecteursbarbotent dans le marécage de l’erreur : la coutume, chez lesgens chic, d’envoyer blanchir à Londres leur linge est degénéralisation récente mais de fondation huit fois séculaire.

Huit fois séculaire ! Vous avez bienlu.

C’est une assez curieuse histoire, connueseulement de quelques érudits et qui mérite une publicité pluslarge.

Il nous faut, mesdames et messieurs, remonterà la première moitié du onzième siècle.

À cette époque, vivait le regretté Robert II,sixième duc de Normandie, plus connu de MM. Ritt et Gailhardsous le nom de Robert le Diable.

Un jour que ce seigneur se promenait dans lesenvirons de Falaise, il aperçut, lavant du linge dans l’Ante, unejeune fille d’une éclatante beauté, qui s’appelait Arlette et dontle père était corroyeur.

Neuf mois après cette rencontre, naissait ungros garçon, fort et roux, qu’on appela Guillaume et qui manifesta,dès sa plus tendre enfance, un vif penchant pour la conquête del’Angleterre.

Ses parents ne voulurent point contrarier unevocation si nettement indiquée.

Le 27 septembre 1066, le jeune Guillaume leBâtard débarquait à Vevensey avec plusieurs barons normands etquelques milliers de joyeux lascars dont les yeux ignoraient lahonte des basses températures.

Prévenu de l’arrivée de Guillaume, le jeuneHarold, qui détenait, pour le moment, la couronne d’Angleterre,arriva en toute hâte à la rencontre de son cousin (car ils étaientcousins).

L’entrevue eut lieu dans les environs deHastings et fut dénuée de cordialité.

Il en résulta que notre ami Guillaume monta,sans plus de façons, sur le trône d’Angleterre.

Bien installé dans son nouveau poste, il eutl’idée touchante de faire venir auprès de lui sa digne maman,madame Arlette, encore fort jolie, ma foi, et âgée seulement d’unequarantaine d’années.

La brave femme, que les succès de son garçonn’avaient su griser, consentit à s’installer à Londres, mais àcondition, exigea-t-elle, d’y continuer sa florissante industrie deblanchissage qu’elle n’avait jamais d’ailleurs interrompue àFalaise.

Guillaume, quoique fort bon garçon, nebadinait pas avec le service et, pour un oui pour un non, il vousfaisait crever les yeux d’un bonhomme, sans sourciller.

Aussi était-il fort craint.

Ses vassaux, ceux d’Angleterre et ceux deNormandie, ne trouvèrent rien de mieux, pour se faire bien voir,que d’envoyer blanchir leur linge chez sa maman.

Le premier lundi de chaque mois, une nefpartait de Dives, chargée du linge de tous les seigneurs du pays,pour revenir le mois d’après, avec sa blanche cargaison toute bonfleurante d’honnête lessive.

Si bien que, même morte Arlette, même mortWilliam the Conqueror, la coutume se poursuivit chez beaucoup deseigneurs français d’envoyer à Londres leur linge blanchir.

Il y a quelques années, le snobisme s’en mêla,au grand détriment de la lavanderie française, laquelle pourtantvaut bien celle d’Outre-Manche.

Du haut du ciel, sa demeure dernière, Arlettedoit bien regretter l’initiative qu’elle prit de cette mode sipréjudiciable aux intérêts de notre pays.

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