Amours Délices et Orgues

L’ASCENSEUR DU PEUPLE

Je ne sais si vous êtes comme moi ; commedit Sarcey, mais je n’ai jamais compris pourquoi les propriétaireslouaient leur sixième étage moins cher que leur premier. Un sixièmeétage coûte autant à construire qu’un premier, et même davantage,car les matériaux doivent être grimpés plus haut et la main-d’œuvreest d’autant plus dispendieuse qu’elle s’exerce sur un chantierplus loin du sol. (Demandez plutôt aux entrepreneurs de Chicago quiconstruisent des maisons de vingt-deux étages.)

Donc, le raisonnement qui pousse lespropriétaires à louer leurs appartements moins cher dès qu’ils serapprochent du ciel, est aussi faux que celui de ces imbéciles demarchands d’œufs qui, au lieu de vendre, un bon prix, leurmarchandise au sortir du cul de la poule, préfèrent attendrequelques jours pour en tirer un bénéfice moindre.

Ce bas prix des logements haut situés lesdésigne tout naturellement au choix des ménages pauvres ou despersonnes avares.

Dans les immeubles dotés d’un ascenseur(lift), le mal n’est que mi, mais l’ascenseur(lift) est rare dans nos bâtisses françaises, surtout danscelles où s’abritent le prolétariat, la menue bourgeoisie et latoute petite administration.

Pauvres gens qui trimez tout le jour, c’estvotre lot à vous, chaque soir, accomplie la rude besogne, degrimper, à l’exemple du divin Sauveur, votre quotidien calvaire,cependant que de gras oisifs, d’opulents exploiteurs n’ont qu’unbouton à pousser pour regagner, mollement assis, leurs somptueuxentresols !

La voilà, la justice sociale ! La voilàbien !

… On m’a présenté, dernièrement, un monsieurqui a trouvé un moyen fort ingénieux pour remédier à ce déplorableétat de choses.

Simple employé dans la Compagnie généraled’Assurances contre la Moisissure, cet individu, auquel sesappointements ne permettent qu’un humble sixième étage, est atteintd’une vive répulsion pour les escaliers ; tellement vive,cette répulsion, qu’elle frise la phobie !

Alors, notre homme a imaginé un truc fortingénieux pour s’éviter la formalité de ses quatre-vingtsmarches.

Avec l’assentiment du propriétaire, il aorganisé à l’une de ses fenêtres un appareil assez semblable àcelui dont on se sert pour tirer l’eau des puits : une fortepoulie, une solide corde, et, aux bouts de la solide corde, deuxrobustes paniers pouvant contenir chacun une personne.

Sur le coup de sept heures et demie ou huitheures, selon qu’il a bu deux ou trois absinthes, l’employé de laCompagnie générale d’Assurances contre la Moisissurearrive au pied de sa maison.

Un coup de sifflet ! Une fenêtres’ouvre ; au bout d’une corde, un panier descend jusqu’ausol.

L’homme s’installe dans le panier.

Second coup de sifflet ! C’est alors autour de la bourgeoise d’enjamber le balcon et de s’installer dansl’autre panier.

Comme le poids de la dame est inférieur àcelui du monsieur, il ne se passe rien tant que l’aîné des garçonsn’a pas ajouté à sa maman un poids supplémentaire.

Ce poids est représenté par une lourde penduleEmpire, qui suffit à rompre l’équilibre.

Dès lors, le panier de la dame descend,cependant que monte celui du monsieur.

Ce dernier peut ainsi regagner son appartementsans la moindre fatigue.

La femme n’a plus qu’à remonter les six étagespar l’escalier, tenant dans ses bras la pendule Empire, à laquelleelle doit faire bien attention, car son mari y tienténormément.

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