Amours Délices et Orgues

PRATIQUE

En tout métier, en toute profession, en toutart, il faut de la pratique.

Ceux qui viendraient à vous tenir un langagecontraire, tenez-les pour sombres niais, tout au moins dangereusesfripouilles.

La sagesse des nations – qui n’est pas unemoule – l’a depuis longtemps dit : c’est en forgeant qu’ondevient forgeron, et non en consultant des manuels de tissage ou ensuivant les cours d’économie politique de notre sympathiquecamarade Paul Leroy-Beaulieu.

Le gouvernement a si bien compris cette véritéqu’il n’hésite pas – par exemple – à construire de coûteuxhôpitaux, où il entretient, à grands frais, un tas de pauvresbougres à qui il a fait préalablement contracter mille affectionsdiverses, depuis la simple ecchymose jusqu’à l’imminentematernité.

Tout cela pour compléter l’éducation théoriquede nos futurs morticoles et les entraîner à des pratiques d’oùdépendra notre santé, notre existence, à nous autres notablescommerçants.

Il fut, à un moment, question de créer à Pariset dans quelques grandes villes de province, à l’instar de ceshôpitaux, des manières de Palais de Justice pour pauvres, où lesjeunes avocats et magistrats se seraient exercés sur les litigesdes gens de rien, litiges dont la solution importe peu au bon ordresocial et dans lesquels les futurs robins se seraient, sans dégâtsimportants, fait la main.

Le projet fut abandonné pour raisond’économie.

… Mais revenons à la médecine.

Autant les médecins civils trouvent, dansleurs hôpitaux, force éléments d’application, autant les médecinsmilitaires se voient dénués de matières à pratique sérieuse.

Si la jambe cassée est fréquente, la poitrinedéfoncée par un éclat d’obus à la mélinite se rencontre peu, par letemps qui court.

Les typhoïdes pleuvent, mais le grand coup desabre sur la physionomie est bien rare.

Et les balles de Lebel, qui vous traversent lecorps, qui de vous peut se vanter d’en avoir tant vu ?

On a bien la ressource des accidents depolygone et de quelques épisodes de notre expansion coloniale.

Dérisoire.

De ce lamentable état de choses résulte unpénible vernis d’amateur se projetant sur tous ceux de nos médecinsmilitaires qui sont en exercice depuis vingt-sept ans au plus.

Beaucoup de ces praticiens n’ont pas encorevu, de leurs yeux vu, l’ombre d’une plaie par les armes à feu.

Alors, quand le Grand Jour viendra,pourra-t-on compter sur eux ?

Sauront-ils panser nos glorieuses, maismortelles peut-être, blessures ?

C’est, obéissant à ces légitimespréoccupations, que deux grandes nations européennes – l’heure n’apas encore sonné de les désigner plus clairement – viennent deconclure un pacte des plus intéressants.

Ces deux nations, ennemies depuis un quart desiècle, s’arrangeront au printemps prochain pour avoir des grandesmanœuvres communes.

Un corps d’armée de la première marcheracontre un corps d’armée de l’autre.

Les fusils, les canons seront remplis de réelsprojectiles. Les escadrons chargeront pour de vrai, et on ne mettrapas de bouchons à la pointe des baïonnettes.

Alors, seulement, les médecins militaires dechacun de ces peuples pourront apprendre leur métier et acquérirune profitable expérience.

Inutile d’ajouter qu’on tiendra unecomptabilité exacte des tués et blessés et que ce chiffre entreraen décompte sur les victimes de la prochaine guerre.

Voilà, je pense, une des mesures les plushumaines qu’une nation vraiment civilisée ait prises depuislongtemps.

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