Amours Délices et Orgues

UN NOUVEAU MONOPOLE D’ÉTAT

Suivez-vous, dans le Temps, lacampagne vigoureuse que mène mon vieux camarade Émile Alglave pourle monopole de l’alcool ?

Si vous ne la suivez pas, vous avez tort, carla question mérite qu’on s’y intéresse.

De même que le gouvernement est marchandd’allumettes et de tabac, M. Alglave voudrait le voirmarchand de gouttes.

L’État mastroquet, quoi !

Cette combinaison, d’après notre économiste,ferait rentrer chaque année, dans le porte-monnaie de la France,pas loin d’un milliard, sans compter qu’on n’aurait plus àingurgiter les inconcevables mixtures de l’industrie privée (descrupules).

Le fait est que si l’eau-de-vie dugouvernement ne brûle pas plus que ses allumettes, il y aura du bonpour les estomacs français.

Paul Leroy-Beaulieu, avec qui je causais decette réforme fiscale en particulier et des industriels d’État engénéral, se sentait fort perplexe pour émettre un avis.

Paul Leroy-Beaulieu, et il ne s’en cache pas,a peur des doctrines collectivistes, et lui, jadis si enthousiastepour tous les monopoles, oppose maintenant mille réserves à leuradoption.

Le mot État commence à l’épouvanter,et il souhaite ardemment que tous les vrais amis de l’ordre leremplacent désormais dans leurs conversations ou écrits, par leterme plus conforme de administration.

Les mots progrès,progressiste, dont se servent certaines fractions du partirépublicain, ont également le don de l’agacer ferme.

Le progrès d’aujourd’hui, medisait-il éloquemment, est le désordre dedemain !

D’ailleurs, cette question du monopole del’alcool le laisse froid, pour deux raisons.

La première est que M. PaulLeroy-Beaulieu boit fort peu d’eau-de-vie.

Un joli motif, par ma foi !

Alors les Français, que leurs affaires ouleurs goûts n’amènent jamais à Strasbourg et à Metz, devraient sedésintéresser des idées de revanche ! Non, mille foisnon !

La seconde raison est que M. PaulLeroy-Beaulieu a aussi son petit projet, qu’il a bien voulu meconfier.

C’est la réforme fiscale par le monopoleadministratif du ramassage de chiffons, os, détritus, etc.

L’État-chiffonnier ?

Parfaitement.

On ne se doute pas ce que représente d’argenttoute cette marchandise disparate qui fait l’objet de l’industriedu chiffonnier.

Malheureusement c’est une profession peuréglementée, assez désordonnée et, pour ainsi dire, pascentralisée.

D’après le projet de M. PaulLeroy-Beaulieu, le gouvernement s’emparerait en totalité de cettebranche.

Après avoir dédommagé, par des indemnitéssuffisantes, les négociants en chiffons, et les chiffonniersproprement dits, le gouvernement nommera un certain nombre defonctionnaires chargés du ramassage et du tri de tous les chiffonssur la superficie de la France.

Ces fonctionnaires, revêtus, bien entendu,d’un uniforme, seront commandés par des sous-brigadiers,brigadiers, etc., etc.

Les chiffons seront d’abord dirigés sur lemagasin municipal, où ils subiront une première sélection.

Chaque tas, renfermé dans un sac, sera ensuiteenvoyé vers le magasin cantonal, situé dans le chef-lieu decanton.

Là, des employés feront le mélange desdétritus, selon leur spécialité, les os avec les os, les vieillesferrailles avec les vieilles ferrailles, etc.

Nouvelle centralisation et même travail auchef-lieu d’arrondissement d’abord et ensuite à la Préfecture.

De chaque préfecture, alors, rayonneront versParis des trains chargés des détritus départementaux.

À Paris, sous l’inspection d’ingénieurs sortisde l’École polytechnique, ces résidus subiront une dernièresélection et seront envoyés en province, vers des dépôts chargés deles utiliser.

Il est difficile, comme on le conçoit, depouvoir évaluer ce que rapportera ce nouveau monopole (les donnéesmanquent actuellement) ; mais, me disaitM. Leroy-Beaulieu, quand on n’aurait que le plaisir de mettreun peu d’ordre et d’uniformité dans une profession qui en fut,jusqu’à présent, si totalement dénuée, l’essai ne mérite-t-il pasd’être tenté ?

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