Amours Délices et Orgues

STRICTE OBSERVANCE

Pour le bon Clovis (de la Scala.)

Quelques semaines après l’enterrement de sabelle-mère, je le rencontrai, intégralement, de la cime du chapeauà la pointe extrême des bottines, vêtu de noir.

De ce noir spécial qui paraît si noir, voussavez ?

Je lui serrai la main d’une bonne étreintecordiale mais peu apitoyée.

– On ne te voit plus, mon vieux, à nospetits six o’clock vermouth du vendredi ?

– Impossible, tu comprends, dans masituation, avant un mois ou deux.

– Vrai ? La disparition de tabelle-mère t’a frappé à ce point ?

– Mon Dieu… Comparer mon chagrin à unabîme insondable serait de l’exagération. (D’autant plus que letrépas de cette vieille dame m’a valu un agréable surcroît derentes…) Mais, tu sais, les convenances…

– Allons, déroge pour une fois et viensavec moi dire bonsoir aux camarades.

– Je consens, mais cela n’est pas desplus corrects.

Deux amis seulement se trouvaient réunis.

On proposa une manille, une petitemanille.

– Oh ! cela, se récria l’endeuillé,impossible !

– Allons donc, tu nous rases avec lesmânes de ta vieille mère Machin ! Tu vas faire une manilleavec nous !

– Une manille muette, alors ?

– Zut ! une manille aux enchères,comme d’habitude.

– Je veux bien, mais je vous préviens queje ne pousserai pas. Ce serait indécent.

– Tu feras comme tu voudras.

Au bout de quelques parties, nous noussentions agacés de jouer dans de telles conditions…

L’homme en deuil continuait à jouersilencieusement, sans prendre part aux enchères, sans formuler lamoindre réflexion à propos des coups.

La décence de ce monsieur nous devenaitoutrageante.

– Épatant, remarqua le plus mal élevé dela bande ; c’est ta belle-mère qui est claquée et c’est toiqui fais le mort !

– C’est bon, messieurs ; pour nepoint vous désobliger, je vais prendre une part plus mouvementée àvotre jeu.

Et, en effet, à la partie qui suivait, ilrenchérit comme un lion !

– Vingt et un !

– Vingt-deux !

– Vingt-trois !

Etc., etc., etc.

– Trente-huit !

– Trente-neuf !

– Quarante !

– C’est pour toi !… Atout ?

– Atout pique.

Le coup fut désastreux pour notre pauvre ami.Lui qui se targuait de faire quarante points, il en obtint justedix-sept.

– Es-tu bête aussi, toi, de mettre tonatout à pique, quand tu n’as dans ton jeu que du cœur et ducarreau !

– Je ne pouvais mettre l’atout ni àcarreau ni à cœur.

– Pourquoi cela ?

– Je vous rappelle, messieurs, que jesuis en deuil.

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