Amours Délices et Orgues

FARCE LÉGITIME

Partagez-vous mon opinion ? M’est avisqu’on ne doit faire aux bons serviteurs nulle injure, mêmelégère.

Contre un peu d’or, ces gens nous consacrenttout leur temps ; nous sommes quittes, sans avoir à jeter dansla balance l’appoint des méprisants vocables et des gesteshautains.

D’ailleurs, tenez pour certain que lesdomestiques nous conservent toujours un chien de leur chienne, etqu’ils savent à miracle, quand il y a lieu, nous retrouver autournant.

Écoutez plutôt l’excellente plaisanteriequ’une cuisinière des mes amies (j’entends ainsi que cettecuisinière est une de mes amies et non point qu’elle est lacuisinière d’une de mes amies), qu’une cuisinière de mes amies,dis-je, servit un jour à des patrons injurieux et stupides.

Cette cuisinière, qui s’appelait Clémence,était une brave cuisinière, sachant son métier sur le bout du doigtet, malgré sa nature fougueuse et tendre, parfaitement correcte enson service.

Ses patrons se composaient de commerçantsbassement nés, louchement enrichis et d’autant plus insolents.

La femelle, surtout, à gifler.

– Clémence ! ne cessait-elle depiailler, Clémence, votre veau marengo est complètement raté.

Muette, Clémence se contentait de hausser lesépaules.

– Clémence ! insistait la chipie,votre mouton empoisonne le suif.

Même jeu de la part de Clémence.

Un jour, ce fut à la salade que l’exécrablevieille s’en prit.

– Qu’est-ce que c’est que cettesalade ? C’est avec de l’huile à quinquet que vous l’avezaccommodée ?

Et à partir de ce moment, Madame n’arrêta pasde hurler après la salade de la pauvre Clémence.

Elle acheta son vinaigre elle-même et sonhuile pareillement, le vinaigre dans la véritable maison Orléans,et l’huile chez Olive en personne.

La salade n’obtint pas plus de succès.

La faute en fut alors aux proportions :il y avait trop d’huile et pas assez de vinaigre.

Ou réciproquement.

La vieille, enfin, décida qu’elle ferait sasalade elle-même.

… À cette époque, Clémence avait pour amant unpetit jeune homme fort doux, préparateur de chimie au Collège deFrance.

Informé des tortures de sa bonne amie, lepetit jeune homme fort doux proposa :

– Veux-tu rigoler ?

– Je ne demande pas mieux.

– Bon… Je t’apporterai de l’huile et duvinaigre dont tu rempliras les fioles ad hoc, un jour où il y auragrand dîner chez tes singes.

Le petit jeune homme fort doux livra à sonamie un vinaigre composé d’un mélange d’acides sulfurique etnitrique.

L’huile se trouva remplacée par de la bonneglycérine, légèrement teintée de jaune.

… Tous ceux de nos lecteurs qui ont seulementpassé deux ou trois ans dans une sérieuse fabrique de dynamite,savent que le mélange des corps ci-dessus forme ce qu’on estconvenu d’appeler de la nitro-glycérine.

Quand le mélange est opéré brusquement et sansprécaution, il se produit une élévation de température bientôtsuivie d’une de ces explosions après lesquelles on n’a qu’à tirerl’échelle (s’il en reste).

Les choses se passèrent comme il étaitprévu.

Malgré le grand tralala du dîner de ce soir,la dame tint à accommoder sa salade elle-même. Alors le saladierfut réduit en miettes et la chicorée violemment projetée sur tousles assistants.

Malheureusement, l’accident ne se borna pas àces quelques dégâts.

La vaisselle et la cristallerie crurent devoirse brusquement fragmenter, et aussi, la table, ainsi que la figureet les membres de ces messieurs et dames.

Pendant ce temps, il y avait dans la cuisinedeux personnes qui n’avaient jamais tant ri.

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