Amours Délices et Orgues

TRUC FUNÈBRE ET CANAILLE – EMPLOYÉ PARCETTE VIEILLE FRIPOUILLE DE PÈRE FURET

Le père Furet attendait depuis huit jours lavisite de la vieille baronne de Malenpis.

Aussi, ne fut-il nullement étonné de voir unecalèche s’arrêter devant sa porte, la baronne en descendre etdemander :

– Monsieur Furet ?

– C’est moi, madame, c’est moi-même enpersonne qu’est le père Furet, pour vous servir, s’il y amoyen.

– Vous me connaissez, sansdoute ?

– Je vous connais sans vous connaître,madame ; je vous connais de vous voir passer dans votrevoiture, mais ça ne s’appelle pas connaître une dame…

– Enfin… vous savez qui jesuis ?

– Des gens m’ont dit comme ça que vousseriez, il paraît, la nouvelle propriétaire du château.

– Précisément… Alors, vous devez bienvous douter du motif qui m’amène chez vous ?

– Ma foi, madame, j’en suis à me ledemander… je ne m’en doute pas plus que rien du tout.

– Allons, monsieur Furet, ne faites pasle finaud avec moi… Vous savez bien que je viens pour votre petitpré.

– Mon petit pré ! Quel petitpré ? C’est que j’en ai plusieurs dans le pays, des petitsprés.

– Je parle de celui qui se trouve enbordure sur l’avenue du château, à l’entrée du parc.

– Tiens, tiens, tiens ! Alors, çavous ferait plaisir, ce petit bout de terrain ?

– Seriez-vous disposé à me lecéder ?

– Mon Dieu, madame la baronne, si cepauvre petit morceau de terrain vous fait plaisir, je me ferai unvéritable agrément de vous le céder.

– Combien en demandez-vous ?

– Combien que vous en donnez, vous,madame la baronne ?

– Tenez, monsieur Furet, je ne suis pasdisposée à finasser avec vous. Votre pré vaut bien 500 francs, jevous en donne 1,000… Est-ce convenu ?

– Mais, madame la baronne, expliquez-moipourquoi vous me donnez 1,000 francs de ce pré, s’il n’en vaut que500 ?

– Pour en finir plus vite.

– Eh ben ! alors, je vas vous donnerun moyen d’en finir encore plus vite. Payez-moi mon pré 10,000francs et il est à vous.

– 10,000 francs ! Mais vous êtesfou, mon pauvre bonhomme !

– Alors, madame la baronne, n’en parlonsplus ! Gardez votre argent et moi je garde ma terre.

La baronne de Malenpis sortit, furieuse, engrommelant : « Vieille canaille, va ! »

… Le pré en question avait été payé, dans letemps, 300 francs par le père Furet à l’ancien propriétaire duchâteau qui, à peu près ruiné, commençait à vendre son domaine parmorceaux.

La situation indiscrète de ce lopin dans leparc, en bordure sur l’avenue de tilleuls qui mène à la maison,était bien faite pour gêner la nouvelle châtelaine ; maispayer 10,000 fr. ce misérable carré de terre, foliefurieuse !

À quelques jours de là, le père Furet, dansune conversation avec le cocher de la baronne, apprit que lavieille dame n’allait pas aux offices du village, par horreur detraverser le cimetière qui entoure l’église.

La vue d’un tombeau la faisait se pâmer. Untombeau, que dis-je ? Une simple croix noire avec un CI-GÎTdessus.

À cette révélation, le père Furet rentra chezlui tout songeur.

Il dormit peu cette nuit-là et, dès le matin,se mit à la besogne.

Le lendemain, la vieille baronne de Malenpisaccomplissait, dans le parc, sa petite promenade hygiénique ;mais elle ne parvint point jusqu’à la grille.

Du château, ses gens la virent jeter les brasen l’air ; on entendit de grands cris et on accourut.

– Quoi donc, madame la baronne, qu’ya-t-il ?

– Là… désignait la pauvre vieille blêmebonne femme… là !

Et son doigt tremblant indiquait le pré dupère Furet, d’où émergeaient une vingtaine de belles croixfunéraires toutes noires avec, dessus, des larmes et desinscriptions peintes en blanc.

Le soir même, le père Furet était invité àpasser chez le notaire, et à y toucher 10,000 francs, prix convenude son terrain.

Et cette vieille canaille de père Furetaccepta, mais en exigeant qu’on ajoutât aux 10,000 francsquatre-vingt-sept francs cinquante, montant de ses débours pour lescroix de son petit cimetière.

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