Amours Délices et Orgues

FÂCHEUSE CONFUSION

– Votre ami Othon ? m’interloqua laduchesse, votre ami Othon est un pur goujat !

– Othon ? Un pur goujat ?Othon ?

– Et puis, si vous voulez, mon ami,parlons d’autre chose !… Le seul souvenir de cet être abjectme soulève le cœur.

… Je regrette bien, messieurs et dames, quevous ne connaissiez pas mon ami Othon (plus répandu à Paris sousl’étrange dénomination de Noyau de Poissy). Votre stupeur,à l’entendre ainsi traiter, égalerait la mienne.

Othon est un homme qui n’allumerait pas unecigarette devant une station de fiacres sans demander aux cocherssi la fumée ne les incommode pas.

Othon est l’homme pour lequel une femmeest toujours une femme.

Othon… D’ailleurs, je vous l’amènerai un deces jours, vous pourrez juger par vous-mêmes. Et c’est ce siaccompli galant homme que la duchesse m’affirmait tantpignouf !

Le ton formel de la grande dame m’avait closle bec, à l’émeri, et je n’insistai point.

La conversation roula dès lors sur d’autrestapis. Mais, tout de même, je voulus savoir.

Le lendemain, je rencontrai mon vieux camaradeOthon dans le magasin d’un marchand de bibelots chaldéens chezlequel il se fournit de préférence.

En deux mots, je le mis au courant de l’atrocesituation.

Il m’écoutait, l’œil en l’air, la main lissantsa copieuse barbe blonde :

– Oui, cher, je sais…

– Que s’est-il donc passé entre la grandedame et toi ?

– Rien du tout, mais sieffroyable !

Je dus faire appel à ma plus sombre énergiepour lui tirer une pâle explique. Ça n’était rien, en effet, maisil n’en fallait pas davantage.

… Cet été, Othon avait reçu une invitation àdéjeuner chez la duchesse, en sa villa.

Avant de se mettre à table, on causait dupays, des sites, des excursions.

Othon, qui connaît la région comme pas un,donnait des tuyaux.

Superbe, le pays ! Mais pas drôles, leshabitants ! Et hostiles aux étrangers ? Et taquins.

– Dans les premiers temps, contait-il, lamunicipalité me chercha mille noises ; je répondis aumaire d’alors…

Juste au moment où Othon prononçait ces mots,la duchesse entrait dans le salon. Quand notre brave ami lui offritson bras, elle prit celui d’un autre, d’un ton sec.

À table, la jeune et belle voisine d’Othons’informa.

– Qu’est-ce que c’est que cepoisson ?

– Du sansonnet, madame.

– Du sansonnet ? Qu’est-ce que c’estque le sansonnet ?

Précisément, un silence se fit à ce moment, desorte que chacun put entendre la réponse d’Othon :

– C’est une espèce de petitmaquereau.

Et précisément aussi, à ce moment, la duchessevenait de parler de son neveu.

Fâcheuse confusion.

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