L’enfant mystérieux

Chapitre 5Un naufrage providentiel.

 

Mais Dieu veillait…

Il veille toujours, Dieu.

Il était écrit que le gentilhomme anglais,après avoir inutilement parcouru le monde pour secouer sonspleen, s’en débarrassait inopinément sur le solcanadien.

Las d’attendre le Desperate – quipourtant alors faisait force vapeur vers Québec – Richard loua unegrande chaloupe, embaucha deux matelots, choisit un patron pourdiriger l’embarcation et s’éloigna de la ville, qui lui pesaitdécidément.

Inutile d’ajouter qu’il emportait tout unattirail de chasse et de pêche, – puisqu’il était Anglais et…s’ennuyait !

On partit donc, se dirigeant vers le petitarchipel qui saupoudrait le fleuve, à quelques lieues en aval deQuébec.

C’était par une belle matinée d’octobre, nitrop chaude ni trop fraîche. Une jolie brise de vent d’estsoufflait ferme sur le fleuve. Mais la mer était bonne encore et labrise, très maniable.

Richard, parti ostensiblement pour la pêche etla chasse, se disait avec raison qu’il n’était pas impossible qu’ilrencontrât son yacht, que ce vent en poupe devait jolimententraîner vers son propriétaire.

Et l’on tirait bordée sur bordée, de la côtesud à l’île d’Orléans, faisant des conjectures, hélant les naviresau passage, sans toutefois comprendre grand-chose aux réponsesrapides obtenues.

Cependant, la brise fraîchissait avec lebaissant, et l’on s’apprêtait à virer de bord près de l’îled’Orléans, pour prendre une dernière bordée vers l’île Madame,lorsqu’un choc d’une violence inouïe renversa tout le monde…

Le mât de misaine s’abattit et la chaloupeentrouverte s’emplit d’eau, puis, coulant à demi, se coucha sur leflanc.

Il va sans dire que passagers, gréement,provisions, etc… tout piqua une tête au beau milieu des vagues etdes débris flottants.

Un vrai naufrage !

La chaloupe venait tout bonnement des’éventrer sur une caye à fleur d’eau, dont on n’aperçoit la têteronde et verdâtre qu’au moment de l’étiage.

Chacun se tira d’affaire comme il put, nontoutefois sans avoir barboté énergiquement à travers le fouillisd’épaves que le clapotis des vagues faisait danser.

Heureusement, on n’était pas loin de terre,car la situation ne manquait pas de gravité.

Enfin, on en fut quitte pour un bain forcé etquelques instants d’émotion ; mais la chaloupe, que les lamesportèrent aussi vers la batture de rochers, avait éprouvé de tellesavaries, qu’il ne fallait pas songer à s’y rembarquer.

On la déchargea de son gréement, des armes,des cannes à pêche, des provisions de bouche et des autres menusarticles que la mer pouvait emporter…

Puis les naufragés, ruisselants d’eau, courbéssous leur charge, gagnèrent la grève, moitié riants, moitiépenauds, de leur aventure.

Il était alors près de midi.

Un homme en chemise et coiffé d’un chapeauciré – comme en portent les marins – émergeait du feuillage quitapisse la côte à cet endroit, paraissant venir au-devantd’eux.

Dès qu’il fut à portée, cet homme cria d’unevoix essoufflée :

– Hé ! là-bas !… Es-tu sauvé, toutle monde ?

– Comme tu vois, répondit le patron.

– Tant mieux, mes marsouins… Mais… il fautavouer que vous n’êtes que des mousses pour venir comme ça vousjeter sur les cailloux du rivage…

– Hein !… Qu’est-ce que tu nous chanteslà, toi ?… commença le patron, humilié.

– Je dis que vous êtes venus, comme de vraisterriens, vous casser le nez sur la Caye ducapitaine, – et ça en plein jour, par une belle brise.

– Trop belle, la brise !… grommela lepatron.

– La Caye ducapitaine ! répéta distraitement Richard, tout enmarchant vers l’homme au chapeau ciré… Quel capitaine, monbrave ?

– Le capitaine Hamelin, donc ! réponditl’insulaire : mon ancien commandant, rien que ça !

– Hamelin ! Hamelin !… s’écriaRichard avec surprise… Mais c’est mon capitaine, à moiaussi !… C’est-à-dire le capitaine de mon yacht, ajouta-t-ilavec un demi-sourire.

– Charles Hamelin ? fit l’autre, serapprochant, anxieux.

– C’est bien son nom : CharlesHamelin.

– Âgé d’une trentaine d’années ?

– À peu près.

– C’est lui, monsieur, c’est lui.

– Qui ça, lui ?

– Je vous dis que c’est lui, monsieur, monpropre capitaine, à moi, et le fils de sa mère, ici présente, – jeveux dire présente sur la côte. Ah ! monsieur, il faut vousdire que je me nomme La Gaffe, que je suis matelot de monétat et que je connais une certaine femme qui va être fière de vousvoir. Venez, monsieur, et les autres pareillement. On va vousrequinquer à la maison.

– Mais, mon ami… voulut remercier Richard.

– Pas de mais… C’est dit. La chose est simplecomme bonjour. Vous avez le gréement tout mouillé : on vousdonnera des voiles de rechange à la maison. Allons, yêtes-vous ?

Les étrangers se regardaient, hésitant.

– Qu’appelez-vous la maison, monbrave ? Où se trouve-t-elle, cette maison ? demanda enfinWalpole, prenant son parti.

– À deux pas d’ici, sur la côte… Allons, venezsans cérémonie.

– Ma foi, milord, fit le patron, ça n’est pasde refus… dans l’état où nous sommes.

Et l’honnête marin jeta un regard comiquementdésolé sur ses habits tout luisants d’eau.

– Soit, dit Richard. On nous excusera :nous sommes des naufragés.

– Enfin ! s’écria La Gaffe. Dérapons etfilons grand largue.

Puis il ajouta en aparté, tout enguidant ses nouvelles connaissances :

– Quelle aventure, nom d’une garcette !C’est la patronne qui va être surprise ! Les deux matelotsrestèrent au pied de la côte, à la garde de la chaloupe et de soncontenu.

Un grand feu de branches sèches et de copeauxles mit bientôt en belle humeur, pendant que leurs vêtementsséchaient sous la double action de la flamme et du vent.

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