L’enfant mystérieux

Chapitre 11Où la Démone passe de main en main.

 

À peu près vers onze heures de la même nuit,une scène bien étrange se passait chez Ambroise Campagna.

La maison de ce dernier, au lieu d’êtresituée, comme celle de Pierre Bouet, au sud du chemin, s’élevait ducôté nord, adossée à un renflement de terrain, qui courtparallèlement au fleuve pour aller se confondre avec les berges dela rivière Dauphine. De même que la plupart des habitations del’Île d’Orléans, elle était en pierre, basse de carré, – le toutblanchi à la chaux.

Grâce à la disposition du terrain et au peud’élévation des pans, on comprend que le côté de la maisonregardant le nord offrait bien moins de développement que celui quidonnait sur le chemin royal. À moitié enfouie sous la terre, cettefaçade n’avait guère plus de six pieds de hauteur, de façon qu’unhomme de taille ordinaire pouvait aisément atteindre le rebord dela toiture, en allongeant seulement le bras. Du reste, ce côté dela maison était presque entièrement caché par de hauts pommiers,dont quelques-uns des rameaux pendaient même jusqu’au-dessus dutoit.

C’était charmant, mais aussi – avouons-le –excessivement commode pour les voleurs ou les malfaiteurs quiauraient voulu s’introduire chez maître Campagna, par la petitelucarne, dont on pouvait voir la lumière discrète filtrer à traversle feuillage qui l’enguirlandait.

Telle était du moins l’opinion de deuxcompères de notre connaissance, les frères Pape, qui, embusqués surla crête de la colline, observaient avec une attention soutenue etla maison et ses abords.

On sait ce que venaient faire là les deuxcoquins ; il s’agissait pour eux de gagner les deux centspiastres extorquées à Antoine, moyennant la condition d’enlever laDémone, cette nuit même.

Or, les circonstances semblaient favorisersingulièrement l’opération. Ambroise était retenu hors de chez luipar la maladie de Pierre Bouet, et, sans doute, sa mère nemanquerait pas de visiter, elle aussi, ne fut-ce que cinq minutesdurant, le pauvre malheureux qui se mourait, à quelques arpents delà… La vieille resterait seule, et alors tout irait comme sur desroulettes.

En attendant cette éventualité, les Pape setenaient cois sous le feuillage qui leur servait d’abri, épiant duregard le moindre mouvement, prêtant l’oreille au plus légerbruit…

Ils sont là depuis une bonne heure, quand nousles rejoignons. Et, cependant, rien encore n’est venu confirmerleur petit calcul… La mère Campagna ne bouge pas, à en juger dumoins par l’immobilité des bandes lumineuses que projettent lesfenêtres des pignons.

Dans les environs, le silence n’est troubléque par la conversation des chiens, qui se répondent d’une ferme àl’autre, ou par le miaulement batailleur des matous, en quêted’aventures.

La nuit est noire. Quelques rares étoilespointillent la voûte du ciel. Le vent se tait. Seuls, les ruisseauxbabillent sur leurs lits de cailloux ou bruissent à travers legazon constellé de marguerites.

Minuit va bientôt sonner.

Jean Pape appelle son frère, en observation àquelques pas de lui sur la maîtresse branche d’un pommier.

– Hé ! garçon !

– Qu’est-ce que c’est ?

– Rien ne bouge ?

– Pas un chat.

– Vois-tu chez Pierre Bouet ?

– Oui ; depuis longtemps les lumières nemarchent plus : tout le monde doit être dans la cuisine.

– Ce serait le temps d’agir, mais il y a cettevieille folle de mère Campagna qui s’obstine à ne pas sortir…

– Il faut en prendre notre parti, elle nes’absentera pas. D’ailleurs, elle doit dormir.

– Et le chien d’Ambroise ?

– Là-bas, avec son maître probablement, car ilne donne pas signe de vie.

– La chance est pour nous. Allons, descends deton arbre et va un peu voir ce qui se passe dans la maison. Faisonsvite ; il n’y a plus à barguiner.

Le plus jeune des Pape se laissa tomber de sonobservatoire et, se faufilant au milieu des arbres fruitiers,arriva jusqu’auprès de la maison. Comme il n’y avait pas de fenêtresur le derrière, il se glissa le long du pignon qui regardait l’estet alla coller son œil à une des vitres du châssis qui éclairait lacuisine.

Tout était silencieux et immobile dans lapièce. La chandelle ne jetait plus qu’une faible lueur, au centrede laquelle se détachait en rouge-feu la mèche épaissie etcharbonnée. Près de la table et ramassée dans son grand fauteuil debois blanc, la mère Campagna dormait, son tricotage surles genoux.

Baptiste Pape remonta vite auprès de sonfrère.

– C’est le temps, dit-il… La bonne femme dort,le chien est absent, et il n’y a pas un être vivant dans lechemin.

– Allons ! fit Jean. Mais soyons prudentset procédons avec ordre. D’abord, il est entendu que c’est toi quigrimpes sur mes épaules et entres dans la maison par lalucarne.

– Je sais, je sais… Tu as toujours le soin dem’envoyer en avant, c’est connu.

– Une fois dans la place, continua Jean sansrelever l’observation, tu marches doucement à la vieille, tul’enroules dans la couverture de laine, tu lui attaches la cordesous les bras et tu me passes le paquet, en le faisant glisser parla lucarne…

– Oui, oui… grommela Baptiste avec impatience,encore une fois, je sais tout cela par cœur.

– Fort bien, conclut imperturbablement l’aîné.Quand tu m’auras remis la vieille sans encombre, ton rôle sera finiet le mien commencera. Allons.

Les deux frères jetèrent un dernier regard surla route, à droite et à gauche, puis se dirigèrent à pas de loupsvers la maison. Arrivés au pied du mur, juste au-dessous del’unique lucarne de ce côté de la toiture, Jean s’arc-bouta sur sesjambes, inclina quelque peu le buste et se tint immobile, pendantque son frère lui grimpait d’un bond sur les épaules.

Une fois qu’il eut pris son aplomb, Baptistese redressa lentement et approcha sa figure du vitrage.

Voici ce qu’il put voir :

Le grenier était séparé en deux compartimentspar une cloison transversale. Dans la pièce située en face de lalucarne, une chandelle fumeuse achevait de se consumer dans unchandelier de fer-blanc placé sur un grand coffre, servant detable. À quelques pas de ce luminaire primitif, et près d’unecouchette basse où un lit propre était dressé, la Démone se tenaitaccroupie sur ses talons, tournant le dos à la fenêtre. Elle avaitles mains jointes sur ses genoux et se laissait bercer par cebalancement inconscient qu’on remarque chez certaines vieillespersonnes dont l’esprit court les rues.

Dormait-elle ? Veillait-elle ?

C’est ce que Baptiste Pape eut été bien enpeine de décider, s’il se fût arrêté à cette question. Mais ilavait vraiment bien autre chose à s’occuper !…

D’abord, le châssis de la lucarne était-ilfermé en dedans au moyen de targettes ou de taquets ?…Faudrait-il l’ouvrir de force, faire du bruit, éveiller les femmes,recourir enfin aux grands moyens ?

C’était à voir.

Baptiste imprima au vitrage une légèrepoussée : il céda et, tournant sur ses couplets, démasquacomplètement l’intérieur du grenier.

Cela s’annonçait bien.

L’effronté garçon jeta un nouveau regard dansle grenier et constata que la tireuse de cartes n’avait pasinterrompu son balancement ; puis il enjamba prestementl’appui de la croisée et retomba sur ses pieds nus àl’intérieur.

Il n’avait pas fait plus de bruit qu’unchat.

Le pire était mené à bien, pensait-il… Iln’avait plus qu’à dérouler la couverte qui lui ceignait les reinset à fondre silencieusement sur sa proie pour l’en envelopper…

Mais comme il s’avançait sur la pointe despieds, la couverte étendue au bout des bras, la porte du chemins’ouvrit rapidement et un bruit de pas retentit à l’étageinférieur. Deux ou trois paroles s’échangèrent, puis l’escaliercommuniquant au grenier craqua sous le poids d’une personne qui lamontait…

Une minute à peine avait suffi à tout cela…Les pas s’approchaient ; la porte de communication entre lesdeux pièces du grenier allait s’ouvrir.

Et Baptiste Pape, pris à l’improviste,étourdi, ne sachant où se fourrer, était toujours là, debout,immobile, les bras tendus !

Il n’avait ni le temps de retourner sur sespas, ni celui de chercher un recoin où se dissimuler.

Lui, si inventif d’ordinaire, il allait sefaire prendre comme un renard par une poule !

Cependant il obéit au sentiment instinctifqu’on éprouve en pareille occurrence… Il se fit petit, s’écrasa, sepelotonna à l’endroit même où il se trouvait, c’est-à-dire près dupied de la couchette…

Puis il ramena pardessus sa tête la couvertequ’il destinait à la Démone et attendit l’orage.

La porte s’ouvrait, à l’instant même.

Ambroise Campagna – car c’était lui – sepencha jusqu’à mi-corps par l’entrebâillement et dit :

– Je vous avais promis des nouvelles, lamère : ça va mieux !

– Ah ! merci ! fit la vieille, quiavait relevé la tête.

Puis elle ajouta :

– Il a repris connaissance, hein ?

– Non, pas encore, mais ça ne tarderaguère.

– Que Dieu le veuille !… Je viens de direun chapelet pour lui.

– Vous vous fatiguez, la mère… À votre âge, ilne faut pas veiller si tard ; couchez-vous.

– Oh ! quand ça me fatiguerait, murmurala centenaire, ce serait bien peu pour expier le mal que j’aifait…

– Vous avez bonne volonté, ça suffit !…Le bon Dieu n’en demande pas davantage, répliqua Ambroise.

Puis, apercevant la fenêtre ouverte, il allala refermer, en disant :

– L’air est frais, la mère : il ne fautpas laisser comme ça le vent du nord pénétrer ici, où gare lesrhumatismes ! Et il se retira, sans avoir seulement remarquéla masse grisâtre qui gisait près du lit.

Quelques minutes après, on l’entendit ouvriret refermer la porte du chemin ; son pas résonna sur le soldurci de la route…

Il retournait chez Pierre Bouet.

– Hem ! fit à part soi Baptiste Pape, ensoulevant sa couverte pour risquer un œil, je crois sincèrement queje l’ai paré belle !… Enfin, c’est passé… Mais quelle peurj’ai eue, grand saint Jean-Baptiste, mon patron !

Tout en faisant ces réflexions, il s’était missur les mains et les genoux – à quatre pattes, comme ondit vulgairement – et observait la vieille.

Celle-ci allait et venait dans la pièce,courbée presque en deux, furetant ci et là, marmottant des phrasesdécousues… Tout à coup, elle aperçut cette masse informe qui venaitde surgir près de son lit… Interdite, elle s’approcha pourreconnaître par le toucher ce que ce pouvait être…

Mais la masse s’agita aussitôt, grandit,s’avança à sa rencontre et s’abattit sur la Démone, avant mêmequ’un cri eût eu le temps de jaillir des lèvres de la pauvrefemme.

En un tour de main, la vieille fut enrouléedans la couverte, et une corde se trouva nouée sous ses bras.

Le reste n’était plus que jeu d’enfant.

Le colis – car c’en avait toute l’apparence –fut passé par la lucarne, reçu dans les bras de Jean Pape etaussitôt transporté sur la colline, au milieu des arbres duverger.

Baptiste Pape, après avoir soigneusementrefermé le châssis de la lucarne, sauta à terre et rejoignit sonfrère.

Le cadet était de fort mauvaise humeur contreson aîné, qu’il accusa violemment de l’avoir exposé, par sanégligence, à être surpris en flagrant délit.

– Tu étais en bas pour guetter, disait-il…Pourquoi ne pas m’avoir fait le signal convenu ?

– Pour la bonne raison, répondit Jean, que jen’ai rien entendu venir.

– Tu mens ! répliqua Baptiste… Tu voulaisme laisser dans le pétrin, pour t’emparer de ma part dans nosépargnes !

– Es-tu bête ! ricana Jean… Comme si, unefois compromis, tu ne m’aurais pas dénoncé !

– Pour ça, tu devais t’y attendre.

– Et, d’ailleurs, crois-tu que j’auraissacrifié avec toi les cent piastres qu’Antoine doit nous compter lanuit prochaine, au reçu de la vieille ?

Cette dernière raison convainquaitBaptiste.

– Au fait, ç’aurait été folie !grogna-t-il.

Et l’incident fut oublié.

Au reste, la réussite complète de leuraudacieux enlèvement contribuait beaucoup à rendre les deux vieuxgarçons accommodants. Sans cette circonstance, en effet, ilsn’auraient pas manqué d’en venir aux mains, comme d’habitude.

On se mit en route, pour la grève, Baptisteprécédant en éclaireur, et l’on arriva sans encombre à une petiteanse, au fond de laquelle un flat était tiré sur lesable.

La Démone fut déposée à l’arrière del’embarcation, et Jean Pape défit quelque peu la couverte, pour luiprocurer de l’air et la faire revenir à elle.

Puis les deux coquins traînèrent leurflat jusqu’à la mer et, s’emparant chacun d’un aviron,voguèrent avec rapidité dans la direction du bout de l’île.

Tout marchait à merveille. La nuit étaitobscure. Pas une âme sur le fleuve. Pas un bruit suspect sur toutela ligne des masses sombres que l’embarcation côtoyait.

Au large et en avant, le fleuve immobilescintillait çà et là, réfléchissant le rayon de quelque rareétoile.

On approchait de la pointe rocheuse quitermine l’île, et l’on allait bientôt s’engager contre courant lelong de la rive septentrionale…

Les Pape allumèrent leur pipe, laissant allerle flat au fil de l’eau.

– Hein ! garçon, dit l’aîné enretroussant ses manches, c’est maintenant qu’il va falloir nagerferme.

– Bah ! fit Baptiste, ce n’est qu’unpetit mille contre le courant, après tout.

– Oui, mais le baissant est rapide endiable autour de ces pointes.

– Que veux-tu ?… On ne gagne pas deuxcents piastres à regarder couler l’eau sous les ponts.

Le flat arrivait alors près d’unelangue de rochers assez élevés, près desquels le courant seprécipitait avec la rapidité d’un torrent.

À grand renfort de coups de rames, le courantfut coupé et la pointe doublée.

Hourra ! ça y est !

Mais voici bien une autre affaire !…

Un canot, jusque là abrité par les rochers,sur la rive nord, apparaît tout à coup.

Un homme, armé d’un fusil, se tient debout aufond de cette embarcation, postée là comme à dessein, et une voixgutturale crie :

– Aoh ! qui vient là ?

Jean Pape répond, après un instantd’hésitation :

– Pêcheurs !

– D’où ? répond la voix.

– Qu’est-ce que ça vous fait ? riposteBaptiste, peu endurant de sa nature.

– De Saint-François ! répond Jean. Nousallons relever notre poisson. Et vous ?

– Filons, filons ! murmura Baptiste avecimpatience… L’embarcation vole et dépasse le canot.

– Stoppe ! s’écrie l’inconnud’un ton impérieux.

– Va au diable ! lui réplique Baptiste,redoublant d’efforts et engageant son frère à nager ferme.

– Au secours ! au secours ! glapitpresque en même temps une voix perçante, partie de l’arrière duflat.

C’est la mère Démone qui, revenue à elle, sedébat dans ses liens.

– Arrêtez, ou je tire ! reprend l’hommedu canot, faisant craquer la batterie de son arme à feu.

– À moi ! à l’aide !… On veutm’assassiner ! continue la voix de femme.

– Vieille enragée, te tairas-tu ? grondeBaptiste, qui bondit sur la Démone et cherche à la bâillonner. Maisla sorcière a le temps de jeter un dernier cri :

– Au meurtre !… Aïe ! Pendant cettecourte lutte, le canot, vigoureusement conduit, s’est rapprochéjusqu’à une couple de longueurs. L’homme qui le monte – une sortede géant bizarrement accoutré – se tient toujours debout, son fusilentre les jambes et un immense aviron à la main.

– Que voulez-vous ? demanda Jean Pape,renonçant à fuir et contenant à grand-peine son bouillantfrère.

– D’abord, que vous m’attendiez, répondl’inconnu.

– C’est fait. Ensuite ?

– Secondement, que vous me disiez quelle estcette femme qui appelle au secours, et ce que vous en voulezfaire.

– Vous êtes bien curieux, l’ami !

– J’attends ! fit l’inconnu d’une voixbrève.

– Eh bien ! c’est notre parente, unepauvre folle qui s’est échappée dans la journée d’hier et que nousramenons au logis.

– Veux-tu qu’elle te dise la bonneaventure ? demanda la voix goguenarde de Baptiste… Elle estsorcière, notre parente : elle tire aux cartes et peutt’apprendre au juste quel jour tu seras pendu.

– Aoh ! grommela l’homme au canot, à quice mot de sorcière fit dresser l’oreille.

– Imbécile ! souffle Jean Pape àl’oreille de son frère, pourquoi ne pas lui dire de suite qui elleest ? Puis s’adressant à son premier interlocuteur :

– Eh bien ! l’ami, nous permettez-vous decontinuer notre route ?… Êtes-vous content ?… Bonne nuit,alors !

Et les rames, tombant à l’eau, portèrent leflat à une bonne distance du canot. Mais ce dernier, enquelques coups d’aviron, l’eut bientôt rejoint.

Le grand diable au fusil, ne voulant pas avoirà renouveler une pareille chasse, mit les deux Pape en joue et leurdit froidement :

– Les rames à bord et répondez nettement, ouje vous envoie une balle dans la tête, foi de Sauvage !

Les ravisseurs de la Démone obéirent, cettefois, sans se faire prier. Ils venaient d’entrevoir la figure decelui qui commandait si impérieusement, et chacun d’eux s’étaitaussitôt fait cette réflexion : « C’est le Sauvage dontnous a souvent parlé Antoine : c’est Tamahou ! »

Or, ils n’ignoraient pas que le Montagnais del’île à Deux-Têtes était homme à mettre sa menace à exécution.

Ils rentrèrent donc leurs rames, maugréantcontre leur mauvaise étoile, qui leur avait ménagé une pareillerencontre.

Tamahou – car c’était lui, en effet – n’encontinua pas moins à les tenir en joue, pour leur éviter latentation même de mentir.

– L’un de vous, dit-il, affirme que cettefemme est sorcière et qu’elle lit dans les cartes la destinée deshommes : est-ce vrai, cela ?

– C’est vrai ! affirma Jean Pape, à quile grand fusil en imposait singulièrement.

– Quel est son nom ? demanda Tamahou.

Les Pape hésitèrent dix secondes…

– Prenez garde !… Votre vie dépend de laréponse que vous allez faire… fit observer tranquillement leSauvage. Jean Pape eut peur…

– La Démone ! dit-il.

– Aoh ! fit Tamahou, avec une étrangesatisfaction… Je m’en doutais, et ce brave Antoine n’a pas menti àsa femme, lorsqu’hier soir il lui a appris que la sorcière vivait…J’ai bien fait de l’épier… Me voilà tout à fait payé de mes peineset sur le chemin de la petite vengeance que je lui ménage.

Puis, tout haut :

– Mes bons amis, pour vous dédommager duretard que je vous ai valu, je vais me charger de cette femme, quiest un embarras pour vous, de cette pauvre folle qui s’échappecomme ça du logis, qui vous force à courir la nuit sur le fleuve,qui crie au meurtre, qui est enfin une source d’ennuis pour sesexcellents parents… J’en aurai bien soin, parole de Montagnais…Allons, passez-la-moi, et vite, je suis pressé.

Les Pape, eux, ne l’étaient pas, pressés. Ilsse regardaient avec des figures longues d’une aune, ne sachant quelparti prendre.

Mais le terrible Sauvage braqua sur eux sonlong fusil avec un air si déterminé, qu’il fallut bien en passerpar ce qu’il voulait.

La Démone fut déposée dans le canot, etTamahou s’éloigna aussitôt, en criant aux deux vieux garçonsahuris :

– Dites à Antoine Bouet que son ami Tamahoun’est pas mort, comme il le croit, sans doute, et que j’aurai leplaisir de lui prouver avant peu que je suis bien vivant.

Et il disparut dans l’obscurité qui planaitsur le fleuve. Les Pape rentrèrent chez eux tout penauds et pensantque leurs cent dollars étaient passablement aventurés.

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