L’enfant mystérieux

Chapitre 4Un mot sur le magnétisme. – Le spleen anglais.

 

Le magnétisme animal n’est pas ce quepense le commun des mortels : un des mille artifices de lascience, un trompe-l’œil, un attrape-nigauds.

Il existe, comme son congénère,l’électricité.

Seulement, ce dernier agent est bien plusavancé que le premier dans le domaine scientifique : ce quiest dû probablement à ce que l’électricité se montre de jour enjour plus utile et plus applicable aux diverses branches del’industrie humaine.

Pourtant, le magnétisme animal n’a pas dit sondernier mot, et il réserve peut-être aux générations futures toutun monde de solutions à des problèmes que nous, prétendus savantsdu dix-neuvième siècle, nous sommes impuissants à déchiffrer etdont l’X mystérieux semble nous défier.

Lisez de Mirville : – LesEsprits.

Est-ce qu’il n’existe pas réellement – dansl’éther qui nous enveloppe – des millions d’esprits subtiles,impondérables, abstraits, qui seraient tout simplement les agentsexcitateurs de cette étrange puissance appelée parnous : magnétisme ?

Cette explication n’est ni plus insensée, niplus lumineuse que toutes les autres théories édifiées à cesujet.

Elle n’est mise ici debout que pour ne pastrop étonner nos lecteurs quand nous leur dirons que laDame blanche – qui s’appelait jadis EugénieLatour – avait réellement pressenti l’arrivée de son mari RichardWalpole, passager du Scandinavian.

Il était à bord, comme nous le verrons.

Aux sceptiques qui lèvent ici les épaules,nous disons : Lisez de Mirville et instruisez-vous. Peut-êtrevotre mimique sera-t-elle toute autre !

Shakespeare n’a-t-il pas dit : Thereare more things in heaven and earth, than are dreamed of in ourphilosophy… !

Ne rejetons de prime abord rien de ce quisemble en dehors des lois naturelles.

La puissance de Dieu est infinie, et sesagents parfois étrangement singuliers… pour notre discernement.

Donc, – redisons-le, – Richard Walpole, lemari de la Dame blanche, était de fait un des passagers duScandinavian.

Dès que le paquebot fut en vue de Québec,Richard monta sur le pont, et son regard fiévreux se prit àescalader le promontoire qui sert d’assises à la capitalecanadienne, pour errer avec mélancolie vers les hauteurs deSainte-Foye.

C’était là, derrière les murailles de lacitadelle, à l’ouest, qu’il avait connu le bonheur vingt annéesauparavant ; là qu’il avait épousé une adorable jeunefemme ; là enfin qu’était née sa fille Anna, ce petit angepotelé et tout rose qu’il n’avait caressé que trois mois, – uninstant !

Qu’étaient devenus la mère et l’enfant, partistous deux sur le Swedenborg, en 1840 ?

Noyés, sans l’ombre d’un doute, puisqu’à sonretour d’Angleterre, dans le printemps de 1841, il avait appris enmême temps leur départ et la disparition du vaisseau sur lequel ilsavaient pris passage, pendant une des plus furieuses tempêtes quieussent jamais bouleversé le golfe Saint-Laurent.

Depuis lors, en proie à une implacablemélancolie, Richard Walpole avait fait ce que fait tout bon Anglaisaffligé d’une fortune et obligé de porter sur ses épaules,– jambe de ci, jambe de là, comme le vieillard de Sindbad, – leminotaure national : vulgo, le spleen…

Il avait voyagé, – voyagé dans toutes lesparties du monde, voituré par tous les agents de locomotionconnus.

Les océans l’avaient bercé ensteamships, en bâtiments à voile, et souvent même ensimples bateaux de courses, – quand ce n’était pas sur son propreyacht à vapeur, the Desperate, qu’il promenait sonennui.

Il avait tour à tour chassé le tigre dans lesjungles du Bengale et le puma avec les Patagons ; parcouru lescontreforts neigeux de l’Himalaya et escaladé les pentesvertigineuses du Chimboraço ; il s’était assis sous la tentedu jellah d’Arabie et avait fumé le calumet avec les indigènes dela Nouvelle-Zélande… On l’avait vu même passer tout un long hiveremprisonné dans les glaces du pôle arctique, près de l’îleMelville, à la recherche du malheureux explorateur Franklin et dece passage du Nord-Ouest tant convoité, qui fut l’objet de siintéressantes expéditions…

Bref, Richard Walpole avait parcouru la bouleterrestre en tous sens, semant partout ses guinées avecl’insouciance d’un Crésus blasé.

Dire que ce va-et-vient incessant l’amusait,ou même l’intéressait, serait faire une assertion hasardée :ça… l’engourdissait, voilà tout.

Et les trois-quarts des millionnaires ennuyésde la brumeuse Albion ne courent ainsi les mondes, euxpareillement, que pour s’engourdir… par le mouvement.

Donc, Richard Walpole et son spleenvenaient, l’un portant l’autre, de débarquer à Québec.

La première chose qu’y fit le noble étrangerfut une visite à l’amirauté pour savoir si son yacht, partid’Angleterre quelques jours avant lui, n’était pas signalé par letélégraphe.

On lui répondit que le Desperatevenait, en effet, de faire escale à Saint-Jean de Terre-Neuve poury renouveler sa provision de charbon, et que tout allait bien àbord.

– All right ! se dit Richard…Mais, que vais-je devenir ici, moi ?… Comment tuer letemps ?

Sur dix Anglais riches qui en sont réduits àvoir se dresser devant eux cette redoutable question, il y en acinq qui reprennent le paquebot ou le train, trois qui s’imbibentde brandy, un qui laisse le spleen faire son œuvre, et un…qui se suicide.

Hâtons-nous de dire que Richard Walpolen’adopta aucun de ces moyens usés jusqu’à la corde.

Après avoir revu les lieux où s’étaientaccomplis son mariage et la naissance de sa fille, il renouaquelques relations de parenté, constata à l’évidence que leSwedenborg avait sûrement péri, corps et bien, en 1840, etne songea plus qu’à l’arrivée de son yacht, sur lequel il comptaitredescendre tranquillement le Saint-Laurent jusqu’à Halifax.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer