L’enfant mystérieux

Chapitre 8Père, mère et fille.

 

Ce fut un coup de théâtre.

Chacun s’empressa autour de la Dameblanche, qui avait entièrement perdu connaissance.

La Gaffe et Anna, aidés du patron André, latransportèrent sur un lit, dans une pièce voisine, pendant quemadame Hamelin offrait ses services au gentleman, qui avait toutl’air, lui aussi, de vouloir tomber en pâmoison.

Cependant, il se remit bientôt et faisant ungeste de la main :

– Madame, dit-il, je vous prie, dites-moi,d’où vient cette femme et comment il se fait… ?

– Milord, pour parler net, je n’en sais rien.C’est mon fils…

– Le capitaine ?

– Oui, milord. Il arriva un jour d’un voyagedans le golfe, ayant cette malheureuse à son bord. Le chef d’unetribu de sauvages mic-macs, campée sur l’île de Terre-Neuve, la luiavait remise…

– Mais comment se trouvait-elle au milieu deces sauvages ?… Depuis quand ?

En ce moment, la porte s’ouvrit et une voixsonore s’écria :

– Oh ! la bonne surprise !… Vousici, milord !

L’Anglais se retourna et se levantvivement :

– Le capitaine Hamelin ! fit-il, trèsétonné. Avant que le nouvel arrivant eût eu le temps de répondre,il était pressé dans les bras de sa mère qui, riant et pleurant, necessait de répéter : « Mon fils ! monfils ! » Une autre voix plus timide, mais non moins émue,disait : « Charles ! » et une petite mainféminine s’emparait de la main du survenant et la serraittendrement. Le capitaine Hamelin – car c’était bien lui – embrassasa mère, pressa longuement la main d’Anna, et s’avançant vers leseigneur anglais :

– Milord, dit-il en s’inclinant, me voici eneffet et très honoré de vous trouver chez ma mère.

– Je suis enchanté de vous voir, moi aussi,mon cher capitaine. Mais, qui a pu vous dire… ?

– Votre signal, milord : le soleilrayonnant sur fond bleu, que j’ai vu déployé sur le rivage, en faced’ici.

– Tiens ! vous avez raison : lepavillon d’appel, que j’avais apporté pour le cas où jerencontrerais mon yacht. Mes matelots restés sur la grève, l’aurontarboré pour le faire sécher.

– Ils l’avaient bel et bien attaché à unelongue perche fichée dans le sable. Aussi jugez de ma surprisequand, en rasant le rivage de l’île, suivant mon habitude, je l’aitout à coup aperçu dans le champ de ma lorgnette… Ma foi, ça étéplus fort que moi : j’ai stoppé et jeté l’ancre, jugeant bienqu’il se passait ici quelque chose d’extraordinaire.

– Vous avez bien fait. C’est la Providence quivous a conduit ici, dit gravement l’Anglais.

Puis, se levant, il prit la main du capitaineet le mena près du lit où gisait, inanimée, la Dameblanche.

– Capitaine Hamelin, dit-il solennellement,quelle est cette femme ?

– Milord, il y a quelques jours, je n’auraispu vous répondre que : Je n’en sais rien. Aujourd’hui, grâceaux renseignements que j’ai pris au Commissariat de l’Inscriptionmaritime, à Saint-Pierre de Miquelon, je puis au moins vous donnerle nom du navire qui fit naufrage quand elle fut jetée dans unebaie de Terre-Neuve, cramponnée à une épave, et la date de cettecatastrophe.

– Eh bien, ce nom ?… Cettedate ?

– Le Swedenborg !…1840 !

– Plus de doutes ! – C’est elle, c’est mafemme ! s’écria lord Walpole, en se précipitant vers la pauvrefolle, qu’une fièvre violente faisait tressaillir dans son lit.

Là, près de cette couche où gémissait soninfortunée compagne, il glissa sur ses deux genoux, collant sonfront brûlant sur une des mains de la malade, qui pendait hors descouvertures. Puis les larmes – des larmes de pitié, de joie etd’espoir – jaillirent de ses yeux, brûlantes, pressées, parties ducœur.

Pendant plusieurs minutes, le noble étrangerdemeura ainsi comme foudroyé par le double sentiment quil’étreignait : la douleur, une douleur rétrospective, à lapensée de ce qu’avait dû souffrir sa malheureuse femme pour avoirainsi perdu la raison, et la joie de la retrouver, de la revoir, depouvoir encore se consacrer à celle qui lui fut toujours sichère.

Enfin, il se ressaisit, dompta son émotion etse releva.

Mais ce mouvement fut si brusque, si nerveux,qu’il faillit heurter Anna, courbée à ses côtés sur le visage de lamalade, qu’elle rafraîchissait au moyen d’une serviette humide.

Heureusement, cette espèce de collision n’eutd’autre résultat que de rompre le cordonnet du médaillon que lajeune fille portait au cou.

L’Anglais murmura une excuse, ramassa lemédaillon et, comme il s’était ouvert en tombant, y jeta les yeuxdistraitement.

Aussitôt, il ne put retenir un cri : Mafemme ! ma femme, telle qu’elle était la dernière fois que jela vis !… Ô Dieu grand !

Et, saisissant le bras de l’orpheline,toujours penchée sur la pauvre folle.

– Par grâce, mademoiselle, dites-moi… Ceportrait est-il à vous ?

– Mais oui, milord, répondit Anna, un peuétonnée de l’altération de la voix de son interlocuteur.

– D’où vous vient-il ?

– De ma mère, à n’en pas douter, puisque jel’avais au cou, alors que je n’étais qu’un tout petit bébé.

– De votre vraie mère, de celle qui estreprésentée par cette miniature ?

– Il y a cent à parier contre un que oui,milord : de cette mère, par le sang, – car j’en ai eu deuxmamans, moi – de cette pauvre mère que je n’ai pas connue, mais queje n’ai jamais cessé d’aimer et pour laquelle j’ai prié tous lesjours de ma vie.

Et, prenant des mains de l’Anglais le portraitque celui-ci dévorait des yeux, elle le porta pieusement à seslèvres.

Lord Walpole, sans répondre, leva vers le cielses yeux baignés de larmes ; puis, prenant doucement la jeunefille dans ses bras, il la baisa sur le front et lui dit d’une voixoù vibraient toutes les tendresses amassées dans son âme :

– Ma fille, Dieu vous a exaucée :embrassez votre pauvre mère, car c’est elle que vous soignez en cemoment.

– Ma mère ! ma bonne et malheureusemère ! sanglota la jeune fille, en se précipitant dans lesbras de la malade et l’étreignant longuement.

– Maintenant, mon enfant, ditl’Anglais secoué par une puissante émotion, venez dans les bras devotre père, car vous êtes bien ma fille, la fille de lordWalpole !

L’orpheline se jeta en pleurant sur lapoitrine du noble lord, se suspendit à son cou et murmura d’unevoix douce : Milord, mon père, mon cœur me l’avaitdit !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer