Contes divers 1875 – 1880

25. Ego sum qui sum

A partir de ce jour Héraclius Gloss fut envahi par un orgueilcolossal. Comme le Messie procède de Dieu le père, il procédaitdirectement de Pythagore, ou plutôt il était lui-même Pythagore,ayant vécu jadis dans le corps de ce philosophe. Sa généalogiedéfiait ainsi les quartiers des familles les plus féodales. Ilenveloppait dans un mépris superbe tous les grands hommes del’humanité, leurs plus hauts faits lui paraissant infimes auprèsdes siens, et il s’isolait dans une élévation sublime au milieu desmondes et des bêtes ; il était la métempsycose et sa maison endevenait le temple.

Il avait défendu à sa bonne et à son jardinier de tuer lesanimaux réputés nuisibles. Les chenilles et les limaçonspullulaient dans son jardin, et, sous la forme de grandes araignéesà pattes velues, les ci-devant mortels promenaient leur hideusetransformation sur les murs de son cabinet ; ce qui faisaitdire à cet abominable recteur que si tous les ex-pique-assiettes,métamorphosés à leur manière, se donnaient rendez-vous sur le crânedu trop sensible docteur, il se garderait bien de faire la guerre àces pauvres parasites déclassés. Une seule chose troublaitHéraclius dans son épanouissement superbe, c’était de voir sanscesse les animaux s’entre-dévorer, les araignées guetter lesmouches au passage, les oiseaux emporter les araignées, les chatscroquer les oiseaux, et son chien Pythagore étrangler avec bonheurtout chat qui passant à portée de sa dent.

Il suivait du matin au soir la marche lente et progressive de lamétempsycose par tous les degrés de l’échelle animale. Il avait desrévélations soudaines en regardant les moineaux picorer dans lesgouttières ; les fourmis, ces travailleuses éternelles etprévoyantes, lui causaient des attendrissements immenses ; ilvoyait en elles tous les désœuvrés et les inutiles qui, pour expierleur oisiveté et leur nonchalance passées, étaient condamnés à celabeur opiniâtre. Il restait des heures entières, le nez dansl’herbe, à les contempler, et il était émerveillé de sapénétration.

Puis comme Nabuchodonosor il marchait à quatre pattes, seroulait avec son chien dans la poussière, vivait avec ses bêtes, sevautrait avec elles. Pour lui l’homme disparaissait peu à peu de lacréation, et bientôt il n’y vit plus que les bêtes. Alors qu’il lescontemplait, il sentait bien qu’il était leur frère ; il neconversait plus qu’avec elles et lorsque, par hasard, il étaitforcé de parler à des hommes, il se trouvait paralysé comme aumilieu d’étrangers et s’indignait en lui-même de la stupidité deses semblables.

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