Contes divers 1875 – 1880

8. Essai d’amour

Beaucoup de poètes pensent que la nature n’est pas complète sansla femme, et de là viennent sans doute toutes les comparaisonsfleuries qui, dans leurs chants, font tour à tour de notre compagnenaturelle une rose, une violette, une tulipe, etc., etc. Le besoind’attendrissement qui nous prend à l’heure du crépuscule, quand labrume des soirs commence à flotter sur les coteaux, et quand toutesles senteurs de la terre nous grisent, s’épanche imparfaitement endes invocations lyriques ; et M. Patissot, comme les autres,fut pris d’une rage de tendresse, de doux baisers rendus le longdes sentiers où coule du soleil, de mains pressées, de taillesrondes ployant sous son étreinte.

Il commençait à entrevoir l’amour comme une délectation sansbornes, et, dans ses heures de rêveries, il remerciait le grandInconnu d’avoir mis tant de charme aux caresses des hommes. Mais illui fallait une compagne, et il ne savait où la rencontrer. Sur leconseil d’un ami, il se rendit aux Folies-Bergère. Il en vit là unassortiment complet ; or, il se trouva fort perplexe pourdécider entre elles, car les désirs de son cœur étaient faitssurtout d’élans poétiques, et la poésie ne paraissait pas être lefort des demoiselles aux yeux charbonnés qui lui jetaient detroublants sourires avec l’émail de leurs fausses dents.

Enfin, son choix s’arrête sur une jeune débutante qui paraissaitpauvre et timide, et dont le regard triste semblait annoncer unenature assez facilement poétisable.

Il lui donna rendez-vous pour le lendemain neuf heures, à lagare Saint-Lazarre.

Elle n’y vint pas, mais elle eut la délicatesse d’envoyer uneamie à sa place.

C’était une grande fille rousse, habillée patriotiquement entrois couleurs et couverte d’un immense chapeau-tunnel dont sa têteoccupait le centre. M. Patissot, un peu désappointé, accepta toutde même ce remplaçant. Et l’on partit pour Maisons-Laffitte, oùétaient annoncées des régates et une grande fête vénitienne.

Aussitôt qu’on fut dans le wagon, occupé déjà par deux messieursdécorés, et trois dames qui devaient être au moins des marquises,tant elles montraient de dignité, la grande rousse, qui répondaitau nom d’Octavie, annonça à Patissot, avec une voix de perruche,qu’elle était très bonne fille, aimant à rigoler et adorant lacampagne, parce qu’on y cueille des fleurs et qu’on y mange de lafriture : et elle riait d’un rire aigu à casser les vitres,appelant familièrement son compagnon : « Mon gros loup. »

Une honte envahissait Patissot, à qui son titre d’employé dugouvernement imposait certaines réserves. Mais Octavie se tut,regardant de côté ses voisines, prise du désir immodéré qui hantetoutes les filles de faire connaissance avec des femmes honnêtes.Au bout de cinq minutes, elle crut avoir trouvé un joint, et,tirant de sa poche le Gil-Blas, elle l’offrit poliment à l’une desdames, stupéfaite, qui refusa d’un signe de tête. Alors, la granderousse, blessée, lâcha des mots à double sens, parlant des femmesqui font leur poire, sans valoir mieux que les autres ; et,quelquefois même, elle jetait un gros mot qui faisait un effet depétard ratant au milieu de la dignité glaciale des voyageurs.

Enfin on arriva. Patissot voulut tout de suite gagner les coinsombreux du parc, espérant que la mélancolie des bois apaiseraitl’humeur irritée de sa compagne. Mais un autre effet se produisit.Aussitôt qu’elle fut dans les feuilles et qu’elle aperçut del’herbe, elle se mit à chanter à tue-tête des morceaux d’opératraînant dans sa mémoire de linotte, faisant des roulades, passantde Robert le Diable à la Muette, affectionnant surtout une poésiesentimentale dont elle roucoulait les derniers vers avec des sonsperçants comme des vrilles.

Puis, tout à coup, elle eut faim et voulut rentrer. Patissot,qui toujours attendait l’attendrissement espéré, essayait en vainde la retenir. Alors elle se fâcha.

« Je ne suis pas ici pour m’embêter, n’est-ce pas ? »

Et il fallut gagner le restaurant du Petit-Havre, tout près del’endroit où devaient avoir lieu les régates.

Elle commanda un déjeuner à n’en plus finir, une succession deplats comme pour nourrir un régiment. Puis, ne pouvant attendre,elle réclama des hors-d’œuvre. Une boîte de sardines apparut ;elle se jeta dessus à croire que le fer-blanc de la boîte lui-mêmey passerait ; mais, quand elle eut mangé deux ou trois despetits poissons huileux, elle déclara qu’elle n’avait plus faim etvoulut aller voir les préparatifs des courses.

Patissot, désespéré et pris de fringale à son tour, refusaabsolument de se lever. Elle partit seule, promettant de revenirpour le dessert ; et il commença à manger, silencieux, etsolitaire ne sachant comment amener cette nature rebelle à laréalisation de son rêve.

Comme elle ne revenait pas, il se mit à sa recherche.

Elle avait retrouvé des amis, une bande de canotiers presquenus, rouges jusqu’aux oreilles et gesticulant, qui, devant lamaison du constructeur Fournaise, réglaient en vociférant tous lesdétails du concours.

Deux messieurs d’aspect respectable, des juges sans doute, lesécoutaient attentivement. Aussitôt qu’elle aperçut Patissot,Octavie, pendue au bras noir d’un grand diable possédant assurémentplus de biceps que de cervelle, lui jeta quelques mots dansl’oreille. L’autre répondit :

« C’est entendu. »

Et elle revint à l’employé toute joyeuse, le regard vif, presquecaressante.

« Je veux faire un tour en bateau », dit-elle.

Heureux de la voir si charmante, il consentit à ce nouveau désiret se procura une embarcation.

Mais elle refusa obstinément d’assister aux régates, malgrél’envie de Patissot.

« J’aime mieux être seule avec toi, mon loup. »

Un frisson lui secoua le cœur… Enfin !…

Il retira sa redingote et se mit à ramer avec furie.

Un vieux moulin monumental, dont les roues vermoulues pendaientau-dessus de l’eau, enjambait avec ses deux arches un tout petitbras du fleuve. Ils passèrent dessous lentement, et, quand ilsfurent de l’autre côté, ils aperçurent devant eux un bout derivière adorable, ombragé par de grands arbres, qui formaientau-dessus une sorte de voûte. Le petit bras se déroulait, tournait,zigzaguait à gauche, à droite, découvrant sans cesse des horizonsnouveaux, de larges prairies d’un côté, et, de l’autre, une collinetoute peuplée de chalets. On passa devant un établissement de bainspresque enseveli dans la verdure, un coin charmant et champêtre, oùdes messieurs en gants frais, auprès de dames enguirlandées,mettaient toute la gaucherie ridicule des élégants à lacampagne.

Elle poussa un cri de joie.

« Nous nous baignerons là, tantôt ! »

Puis, plus loin, dans une sorte de baie, elle voulut s’arrêter:

« Viens ici, mon gros, tout près de moi. »

Elle lui passa les bras au cou et, la tête appuyée sur l’épaulede Patissot, elle murmura :

« Comme on est bien ! comme il fait bon sur l’eau !»

Patissot, en effet, nageait dans le bonheur ; et il pensaità ces canotiers stupides, qui, sans jamais sentir le charmepénétrant des berges et la grâce frêle des roseaux, vont toujours,essoufflés, suant et abrutis d’exercice, du caboulot où l’ondéjeune au caboulot où l’on dîne.

Mais, à force d’être bien, il s’endormit. Quand il se réveilla…il était seul. Il appela d’abord ; personne ne répondit.Inquiet, il monta sur la rive, craignant déjà qu’un malheur ne fûtarrivé.

Alors, tout là-bas, et venant vers lui, il vit une yole mince,et longue que quatre rameurs pareils à des nègres faisaient filer,ainsi qu’une flèche. Elle approchait, courant sur l’eau : une femmetenait la barre… Ciel !… on dirait… C’était elle !… Pourrégler le rythme des rames, elle chantait de sa voix coupante unechanson de canotiers qu’elle interrompit un instant quand elle futdevant Patissot. Alors, envoyant un baiser des doigts, elle luicria :

« Gros serin, va ! »

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