Contes divers 1875 – 1880

13. Comme quoi le docteur Héraclius Glossse trouva exactement dans la même position que le bon Roy Henri IV,lequel ayant ouï plaider deux maistres advocats estimait que tousdeux avaient raison

Quelque temps après ce jour mémorable, une pluie violenteempêcha le docteur Héraclius de descendre à son jardin comme il enavait l’habitude. Il s’assit dès le matin dans son cabinet et semit à considérer philosophiquement son singe qui, perché sur unsecrétaire, s’amusait à lancer des boulettes de papier au chienPythagore étendu devant le foyer. Le docteur étudiait lesgradations et la progression de l’intellect chez ces hommesdéclassés, et comparait le degré de subtilité des deux animaux quise trouvaient en sa présence. « Chez le chien, se disait-il,l’instinct domine encore tandis que chez le singe le raisonnementprévaut. L’un flaire, écoute, perçoit avec ses merveilleux organes,qui sont pour moitié dans son intelligence, l’autre combine etréfléchit. » A ce moment le singe, impatienté de l’indifférence etde l’immobilité de son ennemi, qui, couché tranquillement, la têtesur ses pattes, se contentait de lever les yeux de temps en tempsvers son agresseur si haut retranché, se décida à venir tenter unereconnaissance. Il sauta légèrement de son meuble et s’avança sidoucement, si doucement qu’on n’entendait absolument que lecrépitement du feu et le tic-tac de la pendule qui paraissait faireun bruit énorme dans le grand silence du cabinet. Puis, par unmouvement brusque et inattendu, il saisit à deux mains la queueempanachée de l’infortuné Pythagore. Mais ce dernier, toujoursimmobile, avait suivi chaque mouvement du quadrumane : satranquillité n’était qu’un piège pour attirer à sa portée sonadversaire jusque-là inattaquable, et au moment où maître singe,content de son tour, lui saisissait l’appendice caudal, il sereleva d’un bond et avant que l’autre eût eu le temps de prendre lafuite, il avait saisi dans sa forte gueule de chien de chasse lapartie de son rival qu’on appelle pudiquement gigot chez lesmoutons. On ne sait comment la lutte se serait terminée siHéraclius ne s’était interposé ; mais quand il eut rétabli lapaix, il se demandait en se rasseyant fort essoufflé, si, tout bienconsidéré, son chien n’avait pas montré en cette occasion plus demalice que l’animal appelé « malin par excellence » ; et ildemeura plongé dans une profonde perplexité.

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