Contes divers 1875 – 1880

24. Eurêka

La visite de M. le doyen et de M. le recteur le tira de sonaffaissement. Ils causèrent tous trois pendant une heure ou deuxsans dire un seul mot de métempsycose ; mais au moment où sesdeux amis se retiraient, Héraclius ne put se contenir pluslongtemps. Pendant que M. le doyen endossait sa grande houppelandeen peau d’ours, il prit à part M. le recteur qu’il redoutait moinset lui conta tout son malheur. Il lui dit comment il avait crutrouver l’auteur de son manuscrit, comment il s’était trompé,comment son misérable singe l’avait joué de la façon la plusindigne, comment il se voyait abandonné et désespéré. Et devant laruine de ses illusions, Héraclius pleura. Le recteur ému lui pritles mains ; il allait parler quand la voix grave du doyencriant : « Ah çà, venez-vous, recteur », retentit sous levestibule. Alors celui-ci, donnant une dernière étreinte àl’infortuné docteur, lui dit en souriant doucement comme on faitpour consoler un enfant méchant : « Là, voyons, calmez-vous, monami, qui sait, vous êtes peut-être vous-même l’auteur de cemanuscrit. »

Puis il s’enfonça dans l’ombre de la rue, laissant sur la porteHéraclius stupéfait.

Le docteur remonta lentement dans son cabinet, murmurant entreses dents de minute en minute : « Je suis peut-être l’auteur dumanuscrit. » Il relut attentivement la façon dont ce document avaitété retrouvé lors de chaque réapparition de son auteur ; puisil se rappela comment il l’avait découvert lui-même. Le songe quiavait précédé ce jour heureux comme un avertissement providentiel,son émotion en entrant dans la ruelle des Vieux Pigeons, tout celalui revint clair, distinct, éclatant. Alors il se leva tout droit,étendit les bras comme un illuminé et s’écria d’une voixretentissante : « C’est moi, c’est moi. » Un frisson parcouruttoute sa demeure, Pythagore aboya violemment, les bêtes troubléess’éveillèrent soudain et se mirent à s’agiter comme si chacune danssa langue eût voulu célébrer la grande résurrection du prophète dela métempsycose. Alors, en proie à une émotion surhumaine,Héraclius s’assit, il ouvrit la dernière page de cette biblenouvelle, et religieusement écrivit à la suite toute l’histoire desa vie.

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