Les trophées

LA REVANCHE DE DIEGÔ LAYNEZ

Ce soir, seul au haut bout, car il n’a pasd’égaux,
Diego Laynez, plus pâle aux lueurs de la cire,
S’est assis pour souper avec ses hidalgos.

Ses fils, ses trois aînés, sont là ; maisle vieux sire
En son cœur angoissé songe au plus jeune. Hélas !
Il n’est point revenu. Le Comte a dû l’occire.

Le vin rit dans l’argent des brocs ; lecoutelas
Dégainé, l’écuyer, ayant troussé sa manche,
Laisse échauffer le vin et refroidir les plats.

Car le maître et seigneur n’a pas dit :Que l’on tranche !
Depuis que dans sa chaise il est venu s’asseoir,
Deux longs ruisseaux de pleurs mouillent sa barbe blanche.

Et le grave écuyer se tient près dudressoir,
Devant la table vide et la foule béante,
Et nul, fils ou vassal, ne soupera ce soir.

Comme pour ne pas voir le spectre qui lehante,
Laynez ferme les yeux et baisse encore le front ;
Mais il voit son fils mort et sa honte vivante.

Il a perdu l’honneur, il a gardél’affront ;
Et ses aïeux, de race irréprochable et forte,
Au jour du Jugement le lui reprocheront.

L’outrage l’accompagne et le méprisl’escorte.
De tout l’orgueil antique il ne reste plus rien.
Hélas ! hélas ! Son fils est mort, sa gloire estmorte !

― Seigneur, ouvre les yeux. C’est moi. Regardebien.
Cette table sans viande a trop piètre figure ;
Aujourd’hui j’ai chassé sans valet et sans chien ;

J’ai forcé ce ragot ; je t’en offre lahure ! ―
Ruy dit, et tend le chef livide et hérissé
Qu’il tient empoigné par l’horrible chevelure.

Diego Laynez d’un bond sur ses pieds s’estdressé :
― Est-ce toi, Comte infâme ? Est-ce toi, tête exsangue,
Avec ce rire fixe et cet œil convulsé ?

Oui, c’est bien toi ! Tes dents mordentencore ta langue ;
Pour la dernière fois l’insolent a raillé,
Et le glaive a tranché le fil de ta harangue !

Sous le col d’un seul coup par Tizonataillé,
D’épais et noirs caillots pendent à chaque fibre ;
Le Vieux frotte sa joue avec le sang caillé.

D’une voix éclatante et dont la sallevibre,
Il s’écrie : ― Ô Rodrigue, ô mon fils, cher vainqueur,
L’affront me fit esclave et ton bras me fait libre !

Et toi, visage affreux qui réjouis moncœur,
Ma main va donc, au gré de ma haine indomptable,
Satisfaire sur toi ma gloire et ma rancœur ! ―

Et souffletant alors la têteépouvantable :
― Vous avez vu, vous tous, il m’a rendu raison !
Ruy, sieds-toi sur mon siège au haut bout de la table.

Car qui porte un tel chef est Chef de mamaison. ―

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